Paul et Pierre - de dos

Paul, mon cousin, mon frère, mon ami,

Nous sommes nés à un an d’intervalle, presque à la même date, au milieu des années 1950, dans la communauté juive de Béja, en Tunisie.  Mon père Henri et sa sœur Nicole – ta mère – s’aimaient tendrement. Nos pères étaient associés dans la même boutique et nous jouions comme des frères dans l’arrière-boutique.

Très jeunes, l’histoire nous a balloté sur l’autre rive de la Méditerranée et nous avons atterri à Toulouse. C’est là que nos destins se sont séparés. Alors que tes parents tenaient bon et construisaient un foyer stable, j’ai été entraîné loin de l’Occitanie par les tourbillons d’un naufrage familial. Mais quand je revenais dans la ville rose visiter mon père pour les vacances de Pâques, ma tante Nicole bien aimée m’accueillait dans sa maison et elle était pour moi une véritable mère. Te souviens-tu quand nous allions ensemble à la bibliothèque, où quand tu me jouais au piano un morceau de musique que tu venais d’apprendre ?  Nous nous amusions d’un mot, d’un son, d’un geste, de tout et de rien. J’ai encore dans mes oreilles l’écho de nos rires…

Paul et Pierre au restau

Lorsque que tu faisais tes études de médecine, tu suivais en même temps des cours de philosophie à l’Université, en cachette de tes parents. Mais j’étais dans la confidence. A l’époque, nous avions d’homériques discussions sur les grands philosophes. Quand nous avons commencé à travailler et à fonder une famille, nous nous sommes un peu perdu de vue. Mais quelle fête, quelle joie, quand nous avions l’occasion de nous revoir ! Paul, tu étais ma référence, un autre moi-même, une version différente de mon destin. Nos deux vies étaient parallèles, elles rimaient comme Pierre et Paul.

Tu étais pour moi une manière de héros : tu aidais les mères à mettre leurs bébés au monde ! Médecin de garde, debout la nuit, tu opérais dans l’urgence pour sauver des vies. Consciencieux, responsable, tu étais toujours au fait des derniers développements de ta spécialité. Moi, quatre fois déraciné, j’enviais le médecin toulousain honorablement connu dans sa ville, aimé de ses patients et de leur famille.

J’aimais errer des heures dans ta bibliothèque de grand humaniste. Lucide, tu t’inquiétais partout de la tentation de la bonne conscience satisfaite. Tu étais ouvert, curieux de l’autre, mais sans jamais renier ton identité. Tu ne t’arrêtais pas à l’opinion moutonnière. Tu étais drôle, sympathique, bon vivant et généreux, mais aussi droit, honnête et authentique jusqu’à la rugosité. Je t’aimais, Paul. Qui ne t’aimait pas ? Ton humanité transparaissait immédiatement dans ton sourire et dans tes gestes.

Paul et Pierre Shabbat

Chacun a son Paul Boubli : le fils, le frère, l’époux, le père, le médecin, l’ami, le collègue… Mon Paul à moi, c’est le jumeau karmique, l’alter ego, l’âme sœur. Paul ! Notre dialogue a duré soixante ans. Mon cœur se brise mille fois à la pensée de ne plus te revoir… Rien n’efface la douleur de te perdre. Mais tu as engendré et élevé avec ta chère épouse Véronique quatre merveilleux enfants qui restent avec nous : Zacharie, Esther, Joseph et Samson. Mais tu lègues un héritage : le bien que tu as fait autour de toi, les étincelles que tu as semé dans nos vies. Par la blessure de mon cœur brisé, je recueille ces étincelles dans ma mémoire. Comprendre, aider, soigner, donner, éclairer le monde autour de soi, voilà l’exemple de courage que tu montres à chacun de nous. Toi – Prince d’une secrète noblesse andalouse – voici que de l’autre côté des larmes, de l’autre côté du temps, tu nous transmets le flambeau.