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Pour commencer, le lien vers un podcast (France Culture):

Le jour va bientôt se lever pour une civilisation qui se concevra elle-même comme un sujet cognitif à l’échelle planétaire. L’intelligence vivante (et non pas l’intelligence artificielle!) d’une grande civilisation numérique nous attend dans un avenir qui n’est pas si lointain, avec les communautés qui l’animent et les individus qui la portent.

La société de l’ère numérique est datacentrique : les collectivités humaines se réunissent pour produire, échanger, amasser, transformer et exploiter des données. Son médium est algorithmique : c’est par le moyen de programmes informatiques que nous manipulons les données. Nous entrevoyons déjà une économie de l’information irriguée par l’interconnexion universelle et le traitement ubiquitaire d’énormes flots de données. L’activité humaine tournoie dans une boucle qui va du travail intellectuel à un capital d’algorithmes et de données et de ce capital numérique à l’augmentation du travail intellectuel. En somme, les objets de cette nouvelle civilisation sont les données numérisées, ses outils sont les algorithmes et ses activités créent de la connaissance réflexive.

Mais nous ne savons pas encore où tout cela nous mène, vers quelles formes culturelles nous entraîne le cours accéléré de l’évolution. Le changement n’est pas achevé et il offre encore de nombreuses possibilités d’inflexions et d’initiatives créatives. En inventant (voir une courte vidéo explicative) IEML, j’ai voulu intervenir sur la transformation en cours sans contrarier sa direction mais pour l’orienter plus clairement vers une augmentation de la connaissance réflexive. IEML (le lien est vers la grammaire, free) représente certes un système de codage sémantique efficace, une technologie symbolique, mais c’est avant tout le support d’un projet de civilisation.

Pour saisir la nature de ce projet, il faut l’imaginer déjà réalisé (et il l’est en partie, puisque les principaux problèmes scientifiques sont résolus: voir la Grammaire d’IEML). Représentons-nous les prochaines générations pourvues d’un sens supplémentaire qui élargira leur expérience en leur donnant un accès direct au monde des idées. Dans la culture numérique du futur, tout le monde saura et verra « de ses propres yeux » qu’un groupe humain vit en symbiose avec l’écosystème d’idées qu’il nourrit, qui le représente et qui le nourrit en retour. Certes, certains d’entre nous savent déjà aujourd’hui, de manière intuitive, que les collectivités humaines ont toujours vécu en interaction avec des écosystèmes d’idées (puisque l’existence humaine suppose la culture) mais, dans l’avenir, cette interdépendance sera beaucoup plus tangible qu’aujourd’hui parce que les écosystèmes d’idées seront observables, mesurables et explorables sur un mode sensorimoteur selon des mesures et des normes communes. La vie des idées aura acquis une objectivité scientifique et une évidence sensible qu’elle n’a pas encore aujourd’hui. C’est pourquoi nous devons concevoir une civilisation mondiale dans laquelle chaque communauté humaine (famille, école, réseau, équipe de travail, association, entreprise, ville, parti, nation, etc.) possèdera une représentation interactive de son intelligence collective : l’écosystème d’idées qu’elle génère et dont elle s’alimente. Cet écosystème se présentera comme un hologramme dynamique explorable – en réalité virtuelle ou augmentée – que l’on pourra décomposer, analyser ou fusionner à volonté avec ceux d’autres communautés ou d’autres individus.

Les idées émergent de la communication, c’est pourquoi j’ai commencé par évoquer le rapport symbiotique entre les communautés humaines et les écosystèmes d’idées. Mais dans la civilisation numérique du futur, ce ne sont pas seulement les groupes humains qui se réfléchiront dans des écosystèmes d’idées : chaque personne, chaque oeuvre de l’esprit, chaque concept, chaque objet, chaque lieu, chaque événement sera doublé d’un hologramme dynamique figurant l’écosystème d’idées qui le concerne. Nous pouvons aujourd’hui connaître immédiatement notre propre position géographique et accéder automatiquement à la géolocalisation de n’importe quel objet ainsi qu’à la manière d’y accéder à pied ou par un quelconque moyen de transport. De la même façon, nous pourrons dans le futur nous situer dans le monde des idées, y localiser n’importe quelle personne, objet ou ensemble de données et explorer ses voisinages sémantiques. Bien plus, le monde des idées et le monde matériel nous apparaîtront en rapport d’enveloppement réciproque. Alors que, dans le monde matériel, les choses et les gens seront nimbés d’une aura sémantique (via lunettes ou tablettes), dans le monde des idées, chaque concept sera environné de la constellation de personnes, d’objets et de données qui s’y rapportent.

Les écosystèmes d’idées seront produits et explorés de manière collaborative dans un espace public – un réseau social – ouvert et universel : (lien vers le livre, free) la SPHÈRE SÉMANTIQUE. Les navigateurs de la Sphère sémantique s’associeront en une multitude de jeux sémantiques dont chacun obéira à des règles particulières de catégorisation et d’évaluation des données. Le nouvel espace public abritera notamment des jeux d’apprentissage conçus pour augmenter simultanément la gestion personnelle et la gestion sociale des connaissances. Quant aux idées de la Sphère sémantique, ce seront tout simplement les « status updates » de ses utilisateurs. Mais alors que dans les médias sociaux contemporains on se sert de hashtags en langues naturelles, dans la Sphère sémantique on utilisera IEML pour catégoriser les données. Outre les dates, les identités des joueurs et celles des jeux, les idées se composeront principalement d’un concept (un texte en IEML, lisible dans toutes les langues), d’un crédit (positif, négatif ou neutre) et d’un ensemble de données (c’est-à-dire en fait d’un hyperlien menant aux données). A partir d’un ensemble d’idées, la Sphère sémantique génèrera automatiquement un écosystème dynamique et interactif, avec son univers de discours, ses relations et distances sémantiques internes et externes, ses concentrations et circulations de crédits, sa transformation dans le temps, sa distribution dans l’espace et, bien entendu, ses données multimédia. Vu le caractère océanique des flux de données, il est clair que certains jeux autoriseront des méthodes de catégorisation et d’évaluation automatique. La seule obligation sera de déclarer ces méthodes. Les données publiques seront ainsi intégrées au monde des idées : une bibliothèque mondiale multimédia émergeant de l’intelligence collective, acceptant les choix de catégorisation et d’évaluation de tous les joueurs et de tous leurs jeux, partout présente, surgissant sur demande et mise à jour en temps réel.

Je répète que les utilisateurs pourront sélectionner les ensembles d’idées à volonté, en fonction de leurs dates, de leurs auteurs, de leurs données, de leurs concepts, de leurs jeux et ainsi de suite. Les différents points de vue sur un sujet pourront être séparés ou rassemblés à volonté, sur un mode perspectiviste. C’est ainsi que la Sphère sémantique permettra à ses utilisateurs de multiplier leurs possibilités d’interprétation de la mémoire commune. Mais malgré ces options de sélection et de personalisation, tous les écosystèmes d’idées resteront compatibles et interopérables.

Pour maîtriser le nouvel environnement de communication et de pensée, les enfants apprendront à l’école comment créer, échanger et explorer les idées et leurs écosystèmes. Ils apprendront du même coup à manier IEML, une écriture comprise à la fois par les ordinateurs et les humains, qui programme des circuits sémantiques et qui se traduit automatiquement dans toutes les langues. L’extraction automatique d’informations pertinentes à partir des données ne sera plus réservé à une élite politique, technologique et financière : un nouveau médium social et une nouvelle vague de littératie auront distribué ce pouvoir cognitif entre les mains de tous.