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INTRODUCTION

IEML est une langue (mathématique) dont la finalité principale est de formaliser la description des concepts et de leurs connexions. On s’en servira pour produire des modèles de données, des systèmes de métadonnées sémantiques, des ontologies, des graphes de connaissances et autres réseaux sémantiques. Je dis que cette langue est “mathématique” parce que les nœuds conceptuels (les entités) et les relations – représentés par des phrases IEML – peuvent être générés de manière fonctionnelle et parce que cette langue non ambiguë instaure une bijection entre séquences de caractères (ou chaines phonétiques) et réseaux de concepts. Le grand avantage d’IEML est de rendre les différentes ontologies ou modèles de données sémantiquement compatibles puisque tous les concepts sont construits au moyen du même dictionnaire compact en utilisant la même grammaire régulière.

IEML ne vise pas principalement les sciences exactes, qui disposent déjà d’une formalisation mathématique adéquate et d’une conceptualisation univoque, mais plutôt les sciences humaines, dont la formalisation et la calculabilité laissent à désirer. À noter que l’ingénierie (notamment la documentation de systèmes complexes) et la médecine sont néanmoins des cas d’usages favorables.

COMMENT CONSTRUIRE UN CONCEPT EN IEML?

Pour construire un concept en IEML, il faut utiliser sa grammaire, résumée dans la figure ci-dessous.

Structure et composants de la phrase IEML, illustrés par un exemple

Pour plus de détails sur la grammaire d’IEML, voir https://pierrelevyblog.com/2022/05/19/ieml-pour-les-humanites-numeriques/ et pour un compte rendu encore plus fourni, aller à https://intlekt.io/2022/10/02/semantic-computing-with-ieml-3/. Le rôle 0 peut être occupé par un nom dans les phrases nominales.

Après avoir pris connaissance de la grammaire, il faut se donner une définition du concept à construire. Voici ci-dessous une définition possible de la démocratie qui utilise la structure de la phrase en IEML.

@node
fr: démocratie
en: democracy
(
0 verbe: exercer le pouvoir
1 sujet: tous les citoyens
2 objet: unité politique / cité
4 cause/instrument: suffrage universel
7 intention/contexte: régime politique
8 manière: séparation des pouvoirs et protection des minorités
).

Beaucoup d’autres définitions IEML de la démocratie sont possibles, plus simples, plus complexes ou différentes, mais elles seront toutes explicites et on pourra les comparer.

Pour la définition que nous avons proposée, les concepts nécessaires existent déjà dans le dictionnaire IEML pour les rôles 0, 1, 2 et 7, mais pas pour les rôles 4 et 8. Il faut donc créer les concepts de suffrage universel, de séparation des pouvoirs et de protection des minorités. Ici encore, les définitions ci-dessous auraient pu être différentes. Chaque @node créé peut être réutilisé comme un #concept!

@node
fr: suffrage universel = “tous les citoyens choisissent les dirigeants”
en: universal suffrage
(
0 ~indicatif #choisir,
1 ~tous #citoyen,
2 ~pluriel #dirigeant
).

@node
fr: séparation des pouvoirs
en: separation of powers
(
0 ~voix passive #séparer,
1 &et [#pouvoir législatif #pouvoir judiciaire #pouvoir économique]
).

Pour construire le concept de protection des minorités, je dois d’abord construire le concept de minorité.

@node
fr:minorités
en: minorities
(
0 ~pluriel #communauté,
8 &et [#petit  #faible]
).

@node
fr: protection des minorités
en:protection of minorities
(
0 ~indicatif #protéger un groupe,
2 #minorités
).

Voici finalement un concept possible de démocratie formellement défini en IEML.

@node
fr: démocratie
en: democracy
(
0 #exercer le pouvoir,
1 ~tous #citoyen,
2 #unité politique,
4 *instrument #suffrage universel,
7 *se référant à #organisation politique,
8 *avec &et [ #séparation des pouvoirs #protection des minorités]
).

REMARQUES FINALES

À noter que, pour une utilisation concrète dans une ontologie, on ne construit jamais les concepts isolément (un par un) en IEML mais toujours dans des paradigmes ou champs sémantiques. Dans une ontologie des sciences politiques, un paradigme des régimes politiques conserverait les rôles 0-verbe, 2-objet et 7-contexte/intention, mais ferait varier les rôles 1-sujet, 4-cause/instrument et 8-manière. On construirait ainsi une matrice en 3 dimensions qui pourrait être représentée par plusieurs tables 2 D.

Pour des exemples de paradigmes construits en IEML dans le domaine de la santé mentale, voir: https://intlekt.io/2023/02/07/ieml-in-global-medical-communication/

Par ailleurs, le sens (ou sémantique) d’un concept ne se réduit pas à sa définition. Il faut aussi prendre en compte le contexte d’utilisation, c’est-à-dire le réseau de relations auquel renvoie le concept dans une ontologie ou graphe de connaissances.

Pour naviguer dans le dictionnaire IEML et les débuts d’ontologies, aller à https://ieml.intlekt.io/login , choisir « read without account » puis « published projects ». Explorer le menu contextuel pour chaque mot, en particulier la visualisation de la table paradigmatique à laquelle le mot appartient.

Art: M.C. Escher

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Le langage permet une coordination dynamique entre les réseaux de concepts entretenus par les membres d’une communauté, de l’échelle d’une famille ou d’une équipe, jusqu’aux plus grandes unités politiques ou économiques. Il permet également de raconter des histoires, de dialoguer, de poser des questions et de raisonner. Le langage soutient non seulement la communication mais aussi la pensée ainsi que l’organisation conceptuelle de la mémoire, complémentaire de son organisation émotionnelle et sensorimotrice.

Mais comment le langage fonctionne-t-il ? Du côté de la réception, nous entendons une séquence de sons que nous traduisons en un réseau de concepts, conférant ainsi son sens à une proposition. Du côté de l’émetteur, à partir d’un réseau de concepts que nous avons à l’esprit – un sens à transmettre – nous générons une séquence de sons. Le langage fonctionne comme une interface entre des séquences de sons et des réseaux de concepts. Et gardons en tête que les relations entre les concepts sont eux-mêmes des concepts.

Les chaînes de phonèmes (des sons), peuvent être remplacées par des séquences d’idéogrammes, de lettres, ou de gestes comme dans le cas de la langue des signes. L’interfaçage quasi-automatique entre une séquence d’images sensibles (sonores, visuelles, tactiles), et un graphe de concepts abstraits (catégories générales) reste constant parmi toutes les langues et systèmes d’écriture. 

Cette traduction réciproque entre une séquence d’images (le signifiant) et des réseaux de concepts (le signifié) suggère qu’une categorie  mathématique pourrait modéliser le langage en organisant une correspondance entre une algèbre et une structure de graphe. L’algèbre réglerait les opérations de lecture et d’écriture sur les textes, tandis que la structure de graphe organiserait les opérations sur les nœuds et les liens orientés. A chaque texte correspondrait un réseau de concepts. Les opérations sur les textes reflèteraient dynamiquement les opérations sur les graphes conceptuels. 

Nous avons besoin d’un langage régulier pour coder des chaînes de signifiants et nous pouvons transformer les séquences de symboles en arbres syntagmatiques (la syntaxe étant l’ordre du syntagme) et vice versa. Cependant, si son arbre syntagmatique – sa structure grammaticale interne – est indispensable à la compréhension du sens d’une phrase, il n’est pas suffisant. Parce que chaque expression linguistique repose à l’intersection d’un axe syntagmatique et d’un axe paradigmatique. L’arbre syntagmatique représente le réseau sémantique interne d’une phrase, l’axe paradigmatique représente son réseau sémantique externe et en particulier ses relations avec des phrases ayant la même structure, mais dont elle se distingue par quelques mots. Pour comprendre la phrase ” Je choisis le menu végétarien “, il faut bien sûr reconnaître que le verbe est “choisir”, le sujet “je” et l’objet “le menu végétarien” et savoir en outre que “végétarien” qualifie “menu”. Mais il faut aussi reconnaître le sens des mots et savoir, par exemple, que végétarien s’oppose à carné et à végétalien, ce qui implique de sortir de la phrase pour situer ses composantes dans les systèmes d’oppositions sémantiques de la langue. L’établissement de relations sémantiques entre concepts suppose que l’on reconnaisse les arbres syntagmatiques internes aux phrases, mais aussi les matrices paradigmatiques externes à la phrase qui organisent les concepts, que ces matrices soient propres à une langue ou à certains domaines pratiques.

Parce que les langues naturelles sont ambiguës et irrégulières, j’ai conçu une langue mathématique (IEML) traduisible en langues naturelles, une langue calculable qui peut coder algébriquement non seulement les arbres syntagmatiques, mais aussi les matrices paradigmatiques où les mots et les concepts prennent leur sens. Chaque phrase du métalangage IEML est située précisément à l’intersection d’un arbre syntagmatique et de matrices paradigmatiques. 

Sur la base de la grille syntagmatique-paradigmatique régulière d’IEML, il devient possible de générer et de reconnaître des relations sémantiques entre concepts de manière fonctionnelle : graphes de connaissance, ontologies, modèles de données… Toujours du côté de l’IA, un codage des étiquettes ou de la catégorisation des données dans cette langue algébrique qu’est IEML faciliterait l’apprentissage machine. Au-delà de l’IA, ma vision pour IEML est de favoriser l’interopérabilité sémantique des mémoires numériques et de développer une synergie entre l’autonomisation cognitive personnelle et la réflexivité de l’intelligence collective.

Sur le plan technique, il s’agit d’un projet léger et décentralisé: un dictionnaire IEML-langues naturelles, un analyseur syntaxique (parseur) open-source supportant les fonctions calculables sur les expressions de la langue et une plate-forme d’édition collaborative et de partage des concepts et ontologies. Le développement, la maintenance et l’utilisation d’un protocole sémantique basé sur l’IEML nécessitera un effort de recherche et de formation à long terme.

“About memories” par Hiroko Kono (2011)

Le tournant numérique en sciences humaines

Ce billet rend compte de ma communication au colloque Humanistica à Montréal, le 20 mai 2022.

Les chercheurs en sciences humaines et sciences sociales constituent des bases de données pour l’analyse, la fouille et le partage. L’indexation des documents en ligne est cruciale pour les auteurs, les éditeurs et les lecteurs. Aujourd’hui, il existe une multiplicité de systèmes de métadonnées sémantiques et ontologies selon les langues, disciplines, traditions et théories. Ces systèmes sont souvent hérités de l’ère de l’imprimerie.
Dans ce contexte, le métalangage IEML propose un outil de modélisation et d’indexation programmable, capable d’assurer l’interopérabilité sémantique sans uniformiser les points de vue.

En IEML il y a coïncidence entre les concepts et leur représentation linguistique. Exprimés en IEML plutôt qu’en langue naturelle, les concepts deviennent auto-explicatifs et univoques (sans ambiguïtés lexicale ou syntagmatique). Les concepts d’ontologies différentes sont composés à partir des mots d’un même dictionnaire IEML selon une grammaire régulière. Il devient donc possible d’échanger collaborativement des modèles et sous-modèles entre chercheurs parlant des langues différentes et venant de disciplines distinctes. En somme, IEML résout le problème de l’interopérabilité sémantique.

Une plateforme pour la conception et le maintien collaboratif de graphes sémantiques est en vue. (ontologies, systèmes d’indexation, étiquettes pour le machine learning, etc.).

Un nouvel outil sémantique

IEML n’est pas un format – de données ou de métadonnées – mais une langue qui possède:

• un dictionnaire compact de 3000 mots (accessibles en anglais et français)

• une grammaire entièrement régulière

• le tout intégré à un éditeur-parser

IEML a les mêmes qualités et forces sémantiques qu’une langue naturelle. Ainsi, IEML peut traduire toutes les langues naturelles et peut servir de pivot entre langues naturelles. Sa sémantique est calculable parce que c’est une fonction de sa syntaxe (qui est régulière).

Destinés à la construction de graphes sémantiques, ses phrases peuvent prendre deux formes: nœuds ou liens. IEML possède des instructions permettant de programmer des graphes sémantiques tels que : hypertextes, ontologies et modèles de données.

Les mots

En utilisant la grammaire et les mots du dictionnaire, l’éditeur IEML permet de générer récursivement autant de concepts que l’on veut. Chaque mot en IEML est construit de manière régulière à partir de
6 primitives (lettres majuscules).

Les 6 primitives d’IEML

Les six primitives, tout comme les autres lettres d’IEML sont des mots et dénotent des concepts lorsqu’elles sont utilisées seules. Lorsqu’elles sont utilisées dans un autre mot, elles représentent des places dans des systèmes de symétrie: symétrie 1 pour E, symétrie 2 pour U/A, symétrie 3 pour S/B/T. Pour plus de détails sur les primitives d’IEML, voir: https://intlekt.io/semantic-primitives/

L’opération générative pour les mots a trois rôles: substance attribut mode.
En combinant cette opération générative () avec une opération de jonction (+), on peut former des paradigmes de mots. Ci-dessous les 25 lettres minuscules sont réunies dans une table paradigmatique qui multiplie U+A+S+B+T en substance par U+A+S+B+T en attribut, avec un mode toujours vide.

Les 25 lettres minuscules en IEML

Dans l’image ci-dessus, les couleurs signalent quatre systèmes de symétries (4, 6, 6, 9) dont les lettres occupent des positions déterminées. Pour en savoir plus sur les 25 lettres minuscules, voir: https://intlekt.io/25-basic-categories/

En IEML, les paradigmes de mots, comme d’ailleurs les paradigmes de phrases, sont des systèmes de symétries sémantiques représentés par des systèmes de symétries syntaxiques. Par exemple, le paradigme ci-dessous organise les relations spatiales. Les deux premières rangées organisent les relations spatiales selon les axes vertical (première rangée) et horizontal (deuxième rangée). Les trois rangées inférieures organisent les entrées et sorties, la latéralisation et les chemins.

Paradigme des relations spatiales. Cliquez sur l’image pour l’agrandir 😉

Retenons que le dictionnaire d’IEML est avant tout une boîte à outils pour construire de nouvelles catégories au moyen de phrases.

Les phrases

Les neuf rôles de la phrase – en vert dans l’exemple ci-dessous – ainsi que les * auxiliaires, les ~ flexions et les & jonctions permettent l’expression de récits et d’explications causales. Les # mots en français sont des alias de mots ou de concepts-phrases en IEML.

Exemple de phrase IEML
Evocation

La création de relations sémantiques

En IEML, les relations sémantiques ne se créent pas une par une “à la main” mais se programment. L’instruction de création de relations sémantiques ci-dessous se décompose en deux parties. La partie qui commence par @link énonce la phrase de lien avec les deux variables $A et $B: “Le mot A signifie le contraire du mot B”. Les numéros 0, 1 et 8 sont des raccourcis pour les rôles de phrase: racine, initiateur et manière. La partie qui commence par @function énonce le domaine (en l’occurrence le paradigme de relations spatiales ci-dessus) qui est concerné par la création de relations et il énonce les conditions nécessaires en termes d’adresses syntaxiques et de contenu. La fonction de création de relations n’utilise que deux “équations” connectées par des “ET” et des “OU”:
adresse syntaxique A == adresse syntaxique B
adresse syntaxique A == contenu c

Exemple d’instruction déclarative de création de relations sémantiques

Remarquons que l’instruction déclarative ci-dessus crée 30 relations sémantiques d’un coup!

Indexation, noms propres, référence et auto-référence.

IEML traite explicitement les noms propres et les références qui ne sont pas des catégories générales. L’exemple ci-dessous donne trois exemples : un nom, un nombre et un lien hypertexte. Pour en savoir plus sur le traitement des noms propres en IEML voir:
https://pierrelevyblog.com/2021/07/13/les-noms-propres-en-ieml/

Exemples de référence en IEML

IEML peut aussi faire référence à ses propres expressions: liens, définitions, commentaires, etc. L’exemple ci-dessous est pris au paradigme des relations spatiales et à la relation “le mot A signifie le contraire du mot B” examiné plus haut.

Exemple d’auto-référence en IEML

Plusieurs ontologies sont actuellement en cours de développement. N’hésitez pas à me contacter si vous êtes intéressés par IEML!

“Le penseur” de Rodin

Pierre Lévy a tenu un séminaire sur IEML pendant trois après-midi (13h-17h) les 24, 25 et 26 octobre 2022 à l’Université de Montréal, dans la salle C-8132, Pavillon Lionel-Groulx, 3150 Jean-Brillant.

Pour en savoir plus sur IEML, voir ce texte en anglais facile et qui se lit en 15 min.

Première séance 24 Oct. 13h-17h 

  • Vidéo
  • Présentation générale de la langue et du projet IEML
  • La nouvelle grammaire et le nouvel éditeur
  • Le Power point

Seconde séance 25 Oct. 13h-17h

  • Vidéo
  • Présentation d’exemples d’ontologies en IEML (psychiatrie et autres)
  • Comment concevoir une ontologie ou un modèle de données en IEML?
  • Le Power point.

Troisième séance 26 Oct 13h-17h

  • Vidéo
  • Présentation de la librairie IEML open-source (un gros parseur) en C++ par Louis Van Beurden
  • Comment transformer IEML en projet collectif-collaboratif open-source?
  • Le Power point
  • La présentation de Louis van Beurden, qui a programmé le back-end de l’éditeur IEML, y compris le parseur.

La problématique est définie dans le texte qui suit.

L’université de Montréal

La recherche en sciences humaines et sociales utilise de manière croissante les bases de données, l’analyse automatique, voire l’intelligence artificielle. D’autre part, les résultats de la recherche sont de plus en plus disponibles en ligne sur les blogs des chercheurs, certains réseaux sociaux, les sites web des revues, mais aussi dans des moteurs de recherches spécialisés comme ISIDORE. Tout ceci pose de façon cruciale le problème d’une catégorisation interopérable des données et des documents en sciences humaines et sciences sociales. La question ne se posait pas (ou moins gravement) lorsque chaque bibliothèque, voire chaque pays, avait son système de classement cohérent. Mais dans le nouvel espace numérique, la multiplicité des langues et des systèmes de classifications incompatibles fragmente la mémoire. 


Un premier niveau de réponse à ce problème est fourni par des *formats standards* pour les métadonnées sémantiques, notamment RDF (Resource Description Framework) proposé par le WWW Consortium. Signalons également d’autres formats standards comme JSON LD et Graph QL. Mais il ne s’agit dans tous ces cas que d’une interopérabilité technique, au niveau de la forme des fichiers. Pour résoudre le problème de l’interopérabilité sémantique (traitant de la cohérence des architectures de concepts) on a élaboré des *modèles standards*. Par exemple schema.org pour les sites web, CIDOC-CRM pour le domaine culturel, etc. Il existe de tels modèles pour de nombreux domaines, de la finance à la médecine, mais – notons-le – aucun d’eux n’unifie l’ensemble des sciences humaines. Non seulement plusieurs modèles se font concurrence pour un domaine, mais les modèles eux-mêmes sont hypercomplexes et relativement rigides, au point que même les spécialistes n’en maîtrisent qu’une petite partie. De plus, ces modèles sont exprimés en langues naturelles – le plus souvent en anglais – avec les problèmes de traduction et d’ambiguïté que cela suppose. 


Afin de résoudre le problème de l’interopérabilité sémantique dans la catégorisation des données en sciences humaines et sociales, nous proposons d’expérimenter une approche à la fois plus souple et plus générale que celle des modèles standards: une langue documentaire standard capable d’exprimer n’importe quel modèle ou ontologie et se traduisant dans toutes les langues naturelles. On trouvera ici une rapide description d’IEML en français.


IEML (Information Economy Metalanguage) développé par Pierre Lévy depuis plusieurs années est un langage artificiel (1) ayant le même pouvoir d’expression et de traduction que n’importe quelle langue naturelle, et (2) dont la grammaire et la sémantique sont régulières et calculables. IEML est le seul langage à posséder ces deux propriétés. IEML peut servir de système de métadonnées, assurant l’interopérabilité sémantique des bases de données, quel que soit le domaine. Grâce à sa nature régulière, IEML est également destiné à soutenir la prochaine génération d’intelligence artificielle “neuro-sémantique”. Voir sur ce blog un article d’une vingtaine de pages qui situe IEML dans le paysage général de l’intelligence artificielle. Un outil open-source, l’éditeur IEML (basé sur un parseur en C++) permet de modéliser finement des domaines complexes au moyen de graphes de connaissances ou ontologies. Les modèles sont générés à l’aide d’un langage de programmation déclaratif original et pourront être explorés de manière interactive sous forme d’hypertextes, de tables et de graphes. Les modèles pourront être exportés dans n’importe quel format standard.


L’objectif global du séminaire consiste à réunir des leaders établis et émergents dans les domaines de la recherche, de l’édition et de la fouille de données en humanités numériques pour faire le point sur les récents développements d’IEML. On présentera notamment une ontologie déjà construite et les enseignements méthodologiques issus des travaux en cours. Les trois jours d’échanges intensifs se tiendront sous la direction de Pierre Lévy (Professeur associé à l’Université de Montréal, membre de la Société Royale du Canada) et Marcello Vitali-Rosati (Chaire de recherche du Canada en écritures numériques et professeur titulaire en littérature française à l’Université de Montréal).”

Photo prise par Luc Courchesne lors de la séance du 25 octobre 2022

English version: https://intlekt.io/2022/01/18/ieml-towards-a-paradigm-shift-in-artificial-intelligence/

Art: Emma Kunz

Résumé

Le but de ce texte est de présenter une vue générale des limites de l’IA contemporaine et de proposer une voie pour les dépasser. L’IA a accompli des progrès considérables depuis l’époque des Claude Shannon, Alan Turing et John von Neumann. Néanmoins, de nombreux obstacles se dressent encore sur la route indiquée par ces pionniers. Aujourd’hui, l’IA symbolique se spécialise dans la modélisation conceptuelle et le raisonnement automatique tandis que l’IA neuronale excelle dans la catégorisation automatique. Mais les difficultés rencontrées aussi bien par les approches symboliques que neuronales sont nombreuses. Une combinaison des deux branches de l’IA, bien que souhaitable, laisse encore non résolus les problèmes du cloisonnement des modèles et les difficultés d’accumulation et d’échange des connaissances. Or l’intelligence humaine naturelle résout ces problèmes par l’usage du langage. C’est pourquoi je propose que l’IA adopte un modèle calculable et univoque du langage humain, le Métalangage de l’Économie de l’Information (IEML pour Information Economy MetaLanguage), un code sémantique de mon invention. IEML a la puissance d’expression d’une langue naturelle, il possède la syntaxe d’un langage régulier, et sa sémantique est univoque et calculable parce qu’elle est une fonction de sa syntaxe. Une architecture neuro-sémantique basée sur IEML allierait les forces de l’IA neuronale et de l’IA symbolique classique tout en permettant l’intégration des connaissances grâce à un calcul interopérable de la sémantique. De nouvelles avenues s’ouvrent à l’intelligence artificielle, qui entre en synergie avec la démocratisation du contrôle des données et l’augmentation de l’intelligence collective.

Après avoir été posté sur ce blog, le texte a été publié par le Giornale Di Filosofia numéro 2.
Lien vers –> le texte complet en PDF publié sur le site du Giornale di Filosofia. Ou bien lisez le texte ci-dessous 🙂.

Art: Emma Kunz

For the English version, go here.

Le but de cette entrée de blog est d’expliquer comment fonctionne la sémantique référentielle en IEML et en particulier comment IEML traite les noms propres. J’ai distingué la sémantique linguistique et la sémantique référentielle ici et . Je rappelle néanmoins dans ce qui suit les idées principales qui fondent cette distinction. 

Sémantique linguistique et sémantique référentielle

La sémantique linguistique est interne au langage, tandis que la sémantique référentielle fait le pont entre un énoncé et ce dont il parle.

Lorsque je dis que “les platanes sont des arbres”, je ne fais que préciser le sens conventionnel du mot “platane”. Mais si je dis que “cet arbre-là, dans la cour, est un platane”, alors je pointe vers un état de chose, et ma proposition est vraie ou fausse. Le second énoncé met évidemment en jeu la sémantique linguistique puisque je dois d’abord connaître le sens des mots et la grammaire du français pour la comprendre. Mais s’ajoute à la dimension linguistique une sémantique référentielle puisque l’énoncé se rapporte à un objet particulier dans une situation concrète. 

Un dictionnaire classique définit le sens conventionnel des mots dans une langue, chaque mot étant expliqué en utilisant d’autres mots qui sont eux-mêmes expliqués par d’autres mots, et ainsi de suite de manière circulaire. Un dictionnaire relève donc principalement de la sémantique linguistique. En revanche, un dictionnaire encyclopédique contient des descriptions d’individus réels ou fictifs pourvus de noms propres tels que divinités, héros de roman, personnages et événements historiques, objets géographiques, monuments, œuvres de l’esprit, etc. Sa principale fonction est de répertorier et de décrire des objets externes au système d’une langue. Il enregistre donc une sémantique référentielle.

La sémantique linguistique met en relation un signifiant avec un signifié. Par exemple, le signifiant “arbre”, a pour signifié : “végétal ligneux, de taille variable, dont le tronc se garnit de branches à partir d’une certaine hauteur”. En revanche, la sémantique référentielle met en rapport un signifiant avec un référent. Par exemple, le signifiant “Napoléon 1er” désigne un personnage historique.

Individus et catégories

Les mots contenus dans un dictionnaire classique, et particulièrement les noms communs, désignent généralement des catégories alors que les entrées du dictionnaire encyclopédique se rapportent plutôt à des individus. Le nom commun “arbre” désigne n’importe quel arbre, la classe des arbres, alors que “l’Arbre de la Bodhi” de Bodh Gaya en Inde est un individu portant un nom propre. 

Par “catégorie” j’entends une classe, un genre, un ensemble, une collection, etc. Et ce n’est pas le hasard qui réunit un ensemble d’êtres ou d’objets dans la même catégorie, mais bien au contraire des traits communs. Par contraste avec une catégorie, un “individu” est unique, discret, particulier, qu’il s’agisse d’une personne, d’une chose, d’un événement, d’un lieu, d’une date, etc. On peut élargir le concept d’individu en suivant Bertrand Russell, qui en propose la définition suivante: “une série de faits liés entre eux par des relations causales”. En ce sens l’Écosystème de la forêt amazonienne ou la Révolution française sont bien des individus.

Les deux notions d’individu et de catégorie font système : les individus appartiennent à des catégories et les éléments à des ensembles. L’individu est plutôt concret, comme Isabelle qui est devant moi, alors que la catégorie générale est abstraite, comme l’humanité, qu’il m’est impossible de toucher.

Ne confondons pas “catégorie générale” avec “tout” ni “individu” avec “partie”. Les touts ne sont pas des ensembles abstraits, mais bel et bien des individus, comme d’ailleurs les parties. Par exemple, un organisme animal est un individu total et ses membres sont des parties individuelles de ce tout. Cet éléphant est un exemplaire individuel de la classe des éléphants, mais sa trompe est une partie du corps de l’éléphant.

Noms propres et noms communs: une définition 

Je vais maintenant définir la différence entre noms communs et noms propres. Mon but n’est pas ici de trancher définitivement un débat que de grands linguistes, logiciens et philosophes mènent depuis plusieurs siècles sur ce thème mais plutôt de fixer une convention utile pour le métalangage IEML (Information Economy MetaLanguage) en suivant le consensus aujourd’hui majoritaire en philosophie et en linguistique.  

Un nom commun 

(1) Il désigne une catégorie. 

(2) Il a un signifié relativement constant dans le système de la langue, c’est-à-dire qu’il possède une place dans le réseau cyclique des signifiés d’un dictionnaire.

(3) Il peut en outre acquérir un référent de manière variable selon les actes d’énonciation, comme dans “cette bouteille”.

Un nom propre 

(1) Il désigne un individu.

(2) C’est un signifiant qui n’a pas de signifié dans le système de la langue. 

(3) Il possède un référent constant conféré par une tradition sociale qui remonte à un acte de nomination. Selon Saul Kripke, un nom propre est un “désignateur rigide” dont la principale fonction est de permettre de parler d’un objet indépendamment des propriétés qu’il possède et des interprétations qu’on lui donne.

 Ces définitions peuvent prêter à malentendus et donnent lieu à quelques exceptions. 

Est-il vrai qu’un nom propre n’a pas de signifié?

Commençons tout de suite par évoquer la révolte instinctive contre l’idée qu’un nom propre n’a pas de signifié. Car lorsque nous entendons le mot “Napoléon” nous imaginons tout de suite le bicorne, les abeilles d’or, le jeune général traversant le pont d’Arcole un drapeau à la main, le code civil, le désastre de la Bérésina, etc. Mais Napoléon n’est pas un nom commun de la langue française, c’est un personnage historique. Les images qu’évoquent ce signifiant ne sont pas des signifiés conventionnels mais des connotations qui peuvent varier fortement selon que l’on est français ou anglais, bonapartiste ou légitimiste, militariste ou pacifiste, sensible ou non à la cause abolitioniste (la loi du 20 mai 1802 rétablit l’esclavage), etc. Les connotations sont variables mais la référence à l’individu est constante et sans ambiguité. Les noms propres peuvent avoir des connotations, mais ils n’ont pas de signifié conventionnel dans le système de la langue.

Les noms communs désignent-ils toujours des catégories générales?

Autre point douteux : les noms communs désignent-ils toujours des catégories générales? Par exemple, la lune, satellite de la terre, est-elle un nom commun ou un nom propre? Et si c’est un nom commun, comment se fait-il que “La lune” désigne un individu? Mais remarquons que l’on parle des lunes de Jupiter, qui ont été découvertes par Galilée. Le mot “lune” est donc bien un nom commun. Lorsqu’il est utilisé avec un article défini sans autre précision il réfère à l’astre argenté au cycle quasi mensuel qui éclaire nos nuits, sinon il signifie la catégorie des satellites de planètes. Le même problème se pose pour d’autre objets cosmiques, comme le soleil, la terre, le ciel, etc. En règle générale, chaque fois qu’un nom peut être utilisé au pluriel sans absurdité, alors il s’agit d’un nom commun. La philosophie bouddhiste multiplie les “terres” : les dix bhumis (sanscrit pour “terres”) sont des étapes successives sur le chemin du Bodhisatva. Bien qu’il semble à première vue qu’il n’y ait qu’un seul ciel, le mot possède plusieurs pluriels en français : “cieux” au sens spirituel et “ciels” aux sens matériels. Ne parle-t-on pas des ciels de Turner ou de Monet? En revanche, Mars ou Saturne sont des satellites particuliers ou des divinités personnelles et je ne les ai jamais vus utilisés au pluriel. Ce sont donc des noms propres désignant des individus astronomiques ou mythologiques.

Dans certains usages, une catégorie générale peut être considérée comme un individu

Encore un cas troublant: on peut faire référence à une catégorie générale en la considérant comme un individu. Lorsque je dis “Le fruit que je tiens dans ma main est un melon” j’utilise bien le mot melon comme une catégorie générale dans laquelle je range le fruit individuel que je tiens dans ma main. Jusqu’ici tout va bien. Mais je peux toujours considérer une catégorie générale comme un individu, un élément de l’ensemble des catégories générales : c’est le point de vue réaliste ou platonicien. Par exemple lorsque je dis “le melon est un fruit”, “melon” est au singulier et il est accompagné d’un article défini. Il s’agit donc d’un individu: une “catégorie individuelle”. Mais il ne s’agit là que d’un usage possible d’un nom commun, qui ne range nullement le mot “melon” dans la catégorie des noms propres. Dès qu’une catégorie générale est placée dans un énoncé en position de référent (nous parlons de “cette catégorie-là”), l’usage en fait un individu. Il suffit de distinguer les niveaux logiques pour ne pas se prendre les pieds dans le tapis sémantique. Retenons que lorsqu’un mot possède un signifié dans le système de la langue, il s’agit d’un nom commun, bien que l’on puisse s’en servir pour désigner un individu.

Des noms propres peuvent être utilisés comme prototypes de catégories générales

Dans l’effort pour discriminer entre nom propre et nom commun, la plus grande difficulté vient de l’utilisation des noms propres comme prototypes de catégories générales. On parle par exemple de statuettes qui sont des Vénus préhistoriques ou d’un maître-nageur qui est un Apollon. On traite ironiquement d’Einstein une personne à l’esprit lent, etc. “Les Vénus” contredit la règle générale que nous avons énoncé plus haut, selon laquelle chaque fois qu’un nom peut être utilisé au pluriel sans absurdité, alors il s’agit d’un nom commun. Bien pire, les noms propres peuvent engendrer des adjectifs désignant des qualités abstraites. Par exemple, on souligne le contraste entre l’évolution lamarckienne et l’évolution darwinienne, on évoque les guerres napoléoniennes ou les idées platoniciennes. Certes, Vénus, Apollon, Platon, Napoléon, Darwin, etc. sont des individus, mais ces individus ont tellement marqué les imaginations qu’ils sont devenus les “membres centraux”, ou figures archétypiques, de catégories comprenant les individus qui leur ressemblent ou qui possèdent avec eux une contiguïté spatio-temporelle (la “période napoléonienne”). Dès lors, le nom propre est utilisé de manière figurative comme un nom commun, ou comme une qualité générique dans le cas d’un adjectif construit à partir d’un nom propre. Nous avons donc affaire dans ces cas à des exceptions à notre règle, dans lesquelles des noms propres sont utilisés (par métaphore, métonymie, contiguïté, etc.) pour désigner des catégories.

Une Vénus Préhistorique

Nom propres et références en IEML

Chacun des trois mille mots élémentaires du dictionnaire d’IEML se définit au moyen de phrases utilisant d’autres mots élémentaires et chaque expression complexe en IEML (groupes de mots, phrases, textes) renvoie au noyau circulaire d’inter-définition du dictionnaire. Cette inter-définition circulaire des mots du dictionnaire est d’ailleurs le propre de toutes les langues. Selon leurs rôles grammaticaux dans un énoncé, les trois mille éléments du dictionnaire IEML peuvent être lus comme des noms, des adjectifs, des verbes ou des adverbes. Leurs signifiés sont des catégories générales. Les signifiants de ces catégories générales sont construits pour avoir le maximum de relations fonctionnelles avec leurs signifiés. Les signifiés du même champ sémantique appartiennent au même paradigme et possèdent des similitudes syntaxiques. La composition matérielle des signifiants et leurs places respectives dans les paradigmes donne des indications sur leur sens. Par exemple, les signifiants des couleurs ou des sentiments ont des traits syntaxiques en commun. Les couleurs qui contiennent du rouge ou les sentiments qui avoisinent la colère ont également des traits matériels communs. C’est ce qui fait d’IEML une idéographie. On ne trouve évidemment pas ce type de relation signifiant / signifié dans les langues naturelles, dans lesquelles les mots pour désigner les couleurs ou les sentiments, n’ont pas de traits phonétiques communs. Jointe à la régularité sans faille de sa grammaire, ce rapport fonctionnel entre signifiant et signifié fait d’IEML une langue à la sémantique (linguistique) calculable. 

En revanche, les noms propres comme Napoléon ou le Fuji Yama n’ont pas de traduction en IEML et, de ce fait, leur sémantique linguistique n’est pas calculable en IEML. En IEML les noms propres sont considérés comme des signifiants n’ayant pas de signifié (du moins pas en IEML) et dont le sens est donc purement référentiel. Les références, tout comme les noms propres, sont notés entre crochets. Voici quelques exemples qui mettent en valeur le cas particulier de Napoléon. Dans les phrases IEML entre parenthèses qui suivent, les mots en italiques désignent les rôles grammaticaux de la ligne qu’ils initient, les mots en français contiennent des liens vers le mot IEML correspondant.

***

(racine  le  officierstratège  <Napoléon>).

L’expression signifie : “le général Napoléon”

***

(racine   le   chef  <Napoléon> ,
manière   de   empire).

L’expression signifie : “l’empereur Napoléon” 

***

(racine  vide <Napoléon>). 

Ici Napoléon n’est qualifié par aucune catégorie générale.

***

(racine  pluriel  guerre,
manière  de   officierstratège <Napoléon>).

L’expression signifie “les guerres napoléonniennes” 

***

L’expression “les guerres napoléoniennes” peut être réifiée ainsi:

@alias les-guerres-napoléonniennes
(racine pluriel  guerre,
manière de   officierstratège  <Napoléon>).

***

L’expression définie ci-dessus peut être réutilisée dans une phrase, par exemple:

(racine être blessé,
sujet  singulier  pronom troisième personne,
temps  passé,
temps  pendant les-guerres-napoléonniennes). 

L’expression signifie: “Il a été blessé pendant les guerres napoléoniennes”

Dans cet exemple, on voit comment une phrase IEML (y compris une phrase contenant un nom propre) peut être réifiée et utilisée comme un mot dans une phrase au niveau de complexité linguistique supérieure. Ce type d’opération peut être répété récursivement, ce qui permet d’atteindre des degrés élevés de différentiation et de précision sémantique. 

*** 

Les deux exemples qui précèdent montrent qu’il est possible d’utiliser des noms propres comme prototypes de catégories générales en IEML, comme on le fait dans les langues naturelles. Mais en règle générale on préfèrera exprimer directement les catégories évoquées par les noms propres dans certaines langues naturelles par des catégories en IEML. Par exemple, pour traduire “sadique” on ne reprendra pas le nom du Marquis de Sade, mais on dira simplement “quelqu’un qui aime faire souffrir les autres.”

***

Dans l’exemple ci-dessous, l’objet de la proposition principale est une proposition secondaire – on remarquera les parenthèses dans les parenthèses – et l’accent sémantique (le point d’exclamation) est mis sur la personne (qui que ce soit) qui aime faire souffrir les autres.

@alias sadique
(
racine  aimer, désirer
sujet qui que ce soit
objet 
(racine  faire souffrir,
objet  pluriel  autre personne).
).

***

Les noms de personnes, les adresses, les dates, les positions GPS, les nombres, les unités de mesure, les devises, les objets géographiques, les URL, etc. sont tous considérés comme des noms propres ou des références individuelles et sont mis entre crochets. Les douze premiers nombres entiers naturels sont néanmoins considérés comme des noms communs (ils “existent” en IEML et sont connectés aux nombres ordinaux, aux symétries, aux figures géométriques régulières, etc.). Les grandes zones géographiques existent également en IEML, sont considérées comme des catégories générales et peuvent être assimilés à des “codes postaux” qui donnent lieu à des calculs sémantiques. Ces codes permettent notamment de déterminer les positions respectives (au Nord, à l’Est, etc.) des zones codées, ainsi que de situer et regrouper les pays, les villes et autres objets géographiques.

*** 

Par exemple, pour dire “l’Italie” en IEML, on écrit:

(racine  Europe centre-sud <Italia>).

Expression dans laquelle “Europe centre sud” fait partie du paradigme des pays européens.

***

Pour dire “le nombre 292”, on écrit:

(racine  nombre <292>).

***

Pour dire “le nom d’un client”, on écrit:

(racine nom < Dupont >,
manière du  client).

Le lecteur contrastera l’approche d’IEML avec celle du Web sémantique, dans lequel les URI ne distinguent pas entre catégories générales et désignateurs rigides et ne peuvent pas faire l’objet de calculs sémantiques à partir de leur forme matérielle (une séquence de caractères). En fait, tous les URI sont des désignateurs rigides. Bien entendu, l’approche d’IEML et celle du web sémantique ne sont pas incompatibles puisque les expressions IEML valides ou USLs (Uniform Semantic Locators) ont une forme unique et peuvent se représenter comme des URIs.

L’auto-référence linguistique en IEML

On a vu plus haut que les USLs pouvaient contenir des noms propres, des nombres et autres expressions qui sont opaques au calcul sémantique IEML. Les USLs peuvent aussi faire référence à d’autres USLs, comme on peut le voir dans l’exemple ci-dessous.

***

@alias Bravo-Einstein!
(racine féliciter,
sujet singulier  première personne,
objet singulier  pronom deuxième personne <Einstein>).

***

(racine mode indicatif  moquer,
sujet cette  phrase <Bravo-Einstein!>,
objet  singulier  pronom deuxième personne).

***

BIBLIOGRAPHIE

Cormier Agathe. “Relecture pragmatique de Kripke pour une approche dialogique du nom propre”. 4e Congrès Mondial de Linguistique Française, Jul 2014, Berlin, Allemagne. p. 3059-3074

Frege Gottlob, “Sens et dénotation”. 1892. Trad. de C. Imbert. In Écrits logiques et philosophiques. Paris : Éditions du Seuil, 1971, 102-126.

Kripke Saul, Naming and Necessity, Oxford, Blackwell, 1980. Trad. fr. La logique des noms propres, Paris, Minuit, 1982, (trad. P. Jacob et F. Recanati).

Mill John Stuart, A System of Logic, 1843. Trad. fr. Mill, John Stuart, Système de logique déductive et inductive, trad. fr. L. Peisse Paris, Alcan, 1896. 

Récanati François, “La sémantique des noms propres : remarques sur la notion de « désignateur rigide»”. In: Langue française, n°57, 1983. Grammaire et référence, sous la direction de Georges Kleiber et Martin Riegel. pp. 106-118.

DOI : https://doi.org/10.3406/lfr.1983.5159 www.persee.fr/doc/lfr_0023-8368_1983_num_57_1_5159

Rosch Eleanor., “Cognitive Representations of Semantic Categories”, Journal of Experimental Psychology: General, Vol.104, No.3, September 1975, pp. 192–233.

Rosch Eleanor, “Natural categories”, Cognitive Psychology 1973 4, pp. 328-350.

Russell Bertrand. Human Knowledge: Its Scope and Limits. London: George Allen & Unwin (1948). Trad fr. La connaissance humaine : sa portée et ses limites. Trad. N. Lavand. Paris : J. Vrin, 2002

Vandendorpe, Christian, “Quelques considérations sur le nom propre. Pour un éclairage du linguistique par le cognitif et réciproquement”. In Langage et société, numéro 66, déc. 1993, p. 63-75.

Wittgenstein, Ludwig, Philosophical Investigations, (specially paragraph 79), Trad Anscombe, Basil Blackwell, 1958.

Articles de Wikipedia: 

https://en.wikipedia.org/wiki/Prototype_theory

https://en.wikipedia.org/wiki/Causal_theory_of_reference

https://en.wikipedia.org/wiki/Saul_Kripke

Ou comment passer d’un langage de métadonnées à une culture de l’intelligence collective…

L’ENJEU DES MÉTADONNÉES

Les métadonnées sont les données qui organisent les données. Les données sont comme les livres d’une bibliothèque et les métadonnées comme le fichier et le catalogue de la bibliothèque: leur fonction est d’identifier les livres afin de mieux les ranger et les retrouver. Les métadonnées servent moins à décrire exhaustivement les choses (il ne s’agit pas de faire des cartes à la même échelle que le territoire…) qu’à fournir des repères à partir desquels les utilisateurs pourront trouver ce qu’ils cherchent, avec l’aide d’algorithmes. Tous les systèmes d’information et applications logicielles organisent l’information au moyen de métadonnées. 

On peut distinguer… 

1) les métadonnées matérielles, comme le format d’un fichier, sa date de création, son auteur, sa licence d’utilisation, etc. 

2) les métadonnées sémantiques qui concernent le contenu d’un document ou d’un ensemble de données (de quoi ça parle) ainsi que leur dimension pratique (à quoi servent les données, à qui, dans quelles circonstances, etc.). 

Art: Emma Kunz

On s’intéresse ici principalement aux métadonnées sémantiques. Un système de métadonnées sémantiques peut être aussi simple qu’un vocabulaire. Au niveau de complexité supérieur cela peut être une classification hiérarchique ou taxonomie. Au niveau le plus complexe, c’est une “ontologie”, c’est-à-dire la modélisation d’un domaine de connaissance ou de pratique, qui peut contenir plusieurs taxonomies avec des relations transversales, y compris des relations causales et des possibilités de raisonnement automatique.  

Les métadonnées sémantiques représentent un élément essentiel des dispositifs d’intelligence artificielle :

– elles sont utilisées comme squelettes des graphes de connaissances (knowledge graphs) – ou bases de connaissances – mis en oeuvre par les big techs (Google, Facebook, Amazon, Microsoft, Apple…) et de plus en plus dans des grandes et moyennes entreprises,

– elles sont utilisées – sous le nom de “labels” – pour catégoriser les données d’entraînement des modèles de deep learning.

Parce qu’ils structurent la connaissance contemporaine, dont le support est numérique, les systèmes de métadonnées représentent un enjeu considérable aux niveaux scientifique, culturel, politique…  

Un des buts de ma compagnie INTLEKT Metadata Inc. est de faire de IEML (Information Economy MetaLanguage) un standard pour l’expression des systèmes de métadonnées sémantiques. Quel est le paysage contemporain dans ce domaine?

LE PAYSAGE DES MÉTADONNÉES SÉMANTIQUES AUJOURD’HUI

Formats Standards

Le système de formats et de “langages” standards proposé par le World Wide Web Consortium – W3C – (XML, RDF, OWL, SPARQL) pour atteindre le “Web Sémantique” existe depuis la fin du 20e siècle. Il n’a pas réellement pris, et notamment pas dans les entreprises en général et les big tech en particulier, qui utilisent des formats moins lourds et moins complexes, comme les “property graphs“. De plus, la catégorisation manuelle ou semi-manuelle des données est souvent remplacée par des approches statistiques d’indexation automatique (NLP, deep learning…), qui contournent la nécessité de concevoir des systèmes de métadonnées. Le système de standards du W3C concerne les *formats de fichiers et de programmes* traitant les métadonnées sémantiques mais *pas la sémantique proprement dite*, à savoir les catégories, concepts, propriétés, événements, relations, etc. qui sont toujours exprimées en langues naturelles, avec toutes les ambiguïtés, multiplicités et incompatibilités que cela implique.

Modèles standards

Au dessus de ce système de formats standards existent des modèles standards pour traiter le contenu proprement sémantique des concepts et de leurs relations. Par exemple schema.org pour les sites web, CIDOC-CRM pour le domaine culturel, etc. Il existe des modèles standard pour de très nombreux domaines, de la finance à la médecine. Le problème est qu’il existe souvent plusieurs modèles concurrents pour un domaine et que les modèles eux-mêmes sont hypercomplexes, au point que même les spécialistes d’un modèle n’en maîtrisent qu’une petite partie. De nouveau, ces modèles sont exprimés en langues naturelles, avec les problèmes que cela suppose… et le plus souvent en anglais. 

Systèmes de métadonnées particuliers

Les taxonomies, ontologies et autres systèmes de métadonnées mis en oeuvre dans des applications réelles pour organiser des ensembles de données sont le plus souvent des utilisations partielles des modèles standards et des formats standards. Les utilisateurs se soumettent – plus ou moins bien – à ces couches de standards dans l’espoir que leurs données et applications deviendront les heureux sujets d’un royaume de l’interopérabilité sémantique. Mais leurs espoirs sont déçus. L’idéal du Web intelligent décentralisé de la fin des années 1990 a cédé la place au search engine optimization (SEO) plus ou moins aligné sur le knowledge graph (secret!) de Google. Il faut bien reconnaître, près d’un quart de siècle après son lancement, que le Web Sémantique du W3C n’a pas tenu ses promesses.

Problèmes rencontrés 

Pour obtenir l’interopérabilité sémantique, c’est-à-dire la communication fluide entre bases de connaissance, les responsables de systèmes d’information se soumettent à des modèles et formats rigides. Mais à cause de la multitude des formats, des modèles et de leurs applications disparates, sans parler des différences de langues, ils n’obtiennent pas le gain attendu. De plus, produire un bon système de métadonnées coûte cher, car il faut réunir une équipe pluridisciplinaire comprenant : un chef de projet, un ou des spécialistes du domaine d’utilisation, un spécialiste de la modélisation formelle de type taxonomie ou ontologie (ingénierie cognitive) qui soit capable de se retrouver dans le labyrinthe des modèles standards et enfin un ingénieur informaticien spécialiste des formats de métadonnées sémantiques. Certaines personnes réunissent plusieurs de ces compétences, mais elles sont rares.

COMMENT IEML PEUT-IL RÉSOUDRE LES PROBLÈMES RENCONTRÉS DANS LE MONDE DES MÉTADONNÉES SÉMANTIQUES ? 

IEML en deux mots

IEML – aujourd’hui breveté par INTLEKT Metadata – n’est ni une taxonomie, ni une ontologie universelle, ni un modèle, ni un format: c’est une *langue* ou une *méta-ontologie* composée (1) de quelques milliers de primitives sémantiques organisées en paradigmes et (2) d’une grammaire entièrement régulière.

Caractéristiques uniques du langage IEML

IEML est “agnostique” quand aux formats, langues naturelles et relations hiérarchiques entre concepts. IEML permet de construire et de partager n’importe quel concept, hiérarchie de concepts ou relation entre concepts. IEML ne produit donc pas d’uniformisation ou d’aplatissement des possibilités expressives. Pourtant, IEML assure l’interopérabilité sémantique, c’est-à-dire la possibilité de fusionner, d’échanger, de recombiner, de connecter et de traduire quasi-automatiquement les systèmes de métadonnées et les bases de connaissances organisées par ces métadonnées. IEML permet donc de concilier le maximum d’originalité, de complexité ou de simplicité cognitive d’un côté et l’interopérabilité ou la communication de l’autre, contrairement à ce qui se passe dans la situation contemporaine où l’interopérabilité se “paye” par la réduction des possibilités expressives.

Fonctions uniques de l’éditeur IEML 

Autre avantage: contrairement aux principaux outils d’édition de métadonnées contemporains (Smart Logic Semaphore, Pool Party, Synaptica, Top Braid Composer) l’éditeur IEML conçu par INTLEKT sera intuitif (interface visuelle à base de tables et de graphes) et collaboratif. Il n’est pas destiné aux spécialistes de RDF et OWL (les formats standards), comme les éditeurs cités plus hauts, mais aux spécialistes des domaines d’applications. Une méthode accompagnant l’outil va aider les experts à formaliser leurs domaines en IEML. Le logiciel importera et exportera automatiquement les métadonnées dans les formats standards choisis par l’utilisateur. C’est ainsi que l’éditeur IEML permettra de réduire la complexité et le coût de la création des systèmes de métadonnées sémantiques. 

Marché des outils d’édition et de gestion des systèmes de métadonnées

On comprend aisément que, la masse des données produites ne cessant de croître, tout comme le besoin d’en extraire des connaissances utilisables, on ait de plus en plus besoin de créer et de maintenir de bons systèmes de métadonnées. Le marché des outils d’édition et de gestion des systèmes de métadonnées sémantiques représente aujourd’hui deux milliards de dollars et il pourrait atteindre (selon une estimation très conservatrice) seize milliards de dollars en 2026.  Cette projection agrège : 1) les données de l’industrie sémantique proprement dite (les entreprises qui créent des systèmes de métadonnées pour leurs clients), 2) les outils d’annotation sémantique des datasets d’entraînement pour le machine learning utilisés notamment par les data scientists, 3) la gestion des systèmes de métadonnées en interne par les big tech.

LES BUTS DE INTLEKT METADATA À L’HORIZON DE 5-10 ANS

La fondation

Nous voulons qu’IEML devienne un standard open-source pour les métadonnées sémantiques autour de 2025. Le standard IEML devra être supporté, maintenu et développé par une fondation à but non lucratif. Cette fondation supervisera aussi une communauté d’édition collaborative de systèmes de métadonnées en IEML et une base de  connaissance publique de données catégorisées en IEML. La fondation créera un écosystème socio-technique favorable à la croissance de l’intelligence collective.

L’entreprise privée

INTLEKT continuera à maintenir l’outil d’édition collaborative et à concevoir des bases de connaissances sémantiques sur mesure pour des clients solvables. Nous mettrons également en oeuvre un marché – ou système d’échange – des données privées indexées en IEML qui sera basé sur la blockchain. Les bases de connaissances indexées en IEML seront interopérables sur les plans parallèles de l’analyse des données, du raisonnement automatique et de l’entraînement des modèles neuronaux.

Néanmoins, avant d’arriver à ce point, INTLEKT doit démontrer l’efficacité d’IEML au moyen de plusieurs cas d’usage réels.

LE MARCHÉ D’INTLEKT METADATA À L’HORIZON DE 2-5 ANS

Des entretiens avec de nombreux clients potentiels nous ont permis de définir notre marché pour les années qui viennent. Définissons les domaines pertinents par élimination et approximations successives. 

Les affaires humaines

IEML n’est pas pertinent pour la modélisation d’objets purement mathématiques, physiques ou biologiques. Les sciences exactes disposent déjà de langages formels et de classifications reconnues. En revanche IEML est pertinent pour les objets des sciences humaines et des sciences sociales ou pour les interactions entre objets des sciences exactes et objets des sciences humaines, comme la technologie, la santé, l’environnement ou le phénomène urbain.

Les domaines non-standards

Dans l’immédiat, nous ne nous épuiserons pas à traduire en IEML tous les modèles de métadonnées existants: ils sont très nombreux, parfois contradictoires et rarement utilisés en totalité. Beaucoup d’utilisateurs de ces modèles se contentent d’en sélectionner une petite sous-partie utile et n’investiront pas leur temps et leur argent dans une nouvelle technologie sans nécessité. Par exemple, les nombreuses entreprises qui font du SEO (Search Engine Optimization) extraient un sous-ensemble utile des *classes* de schema.org (patronné par Google) et des *entités* de Wikidata (parce qu’elles sont réputées fiables par Google) et n’ont pas besoin de technologies sémantiques supplémentaires. Autres exemples: les secteurs des galeries, des musées, des bibliothèques ou des archives doivent se soumettre à des standards professionnels rigides avec des possibilités d’innovation limitées. En somme les secteurs qui se contentent d’utiliser un modèle standard existant ne font pas partie de notre marché à court terme. Nous ne mènerons pas de batailles perdues d’avance. A long terme, nous envisageons néanmoins une plateforme collaborative où pourra s’effectuer la traduction volontaire des modèles standards actuels en IEML.

Eliminons également le marché du commerce en ligne pour le moment. Ce secteur utilise bien des systèmes de catégories pour identifier les grands domaines (immobilier, voitures, électroménager, jouets, livres, etc…), mais la multitude des biens et services à l’intérieur de ces catégories assez larges est appréhendée par des systèmes de traitement automatique des langues naturelles ou d’apprentissage machine, plutôt que par des systèmes de métadonnées raffinés. Nous ne croyons pas à une adoption d’IEML à court terme dans le commerce en ligne.

Reste les domaines non-standards – qui n’ont pas de modèles tous faits – ou multi-standards – qui doivent construire des modèles hybrides ou des carrefours – et pour qui les approches statistiques sont utiles… mais pas suffisantes. Pensons par exemple à l’apprentissage collaboratif, à la santé publique, aux villes intelligentes, à la documentation du logiciel, à l’analyse de corpus complexes relevant de plusieurs disciplines, etc. 

La modélisation et la visualisation de systèmes complexes

Au sein des domaines non-standards, nous avons identifié les besoins suivants, qui ne sont pas comblés par les technologies sémantiques en usage aujourd’hui :

– La modélisation de systèmes humains complexes, où se rencontrent plusieurs “logiques” hétérogènes, C’est-à-dire des groupes obéissant à divers types de règles. Citons notamment les données produites par les processus de délibération, d’argumentation, de négociation et d’interaction techno-sociale.

– La modélisation de systèmes causaux, y compris les causalités circulaires et entrelacées.

– La modélisation de systèmes dynamiques au cours desquels les objets ou les actants se transforment. Ces dynamiques peuvent être de type : évolution, ontogénèse, hybridations successives, etc.

– L’exploration et la visualisation interactive 2D ou 3D de structures sémantiques dans des corpus immenses, de préférence sous une forme mémorable, c’est-à-dire facile à retenir. 

Dans les années qui viennent, INTLEKT se propose de modéliser de manière causale des systèmes dynamiques complexes impliquant la participation humaine et de donner accès à une exploration sensori-motrice mémorable de ces systèmes.

IEML étant une langue, tout ce qui peut se définir, se décrire et s’expliquer en langue naturelle peut être modélisé de manière formelle en IEML, fournissant ainsi un cadre qualitatif à des mesures et des calculs quantitatifs. On pourra faire du raisonnement automatique à partir de règles, de la prévision et de l’aide à la décision, mais le principal apport d’IEML sera d’augmenter les capacités, d’analyse, de synthèse, de compréhension mutuelle et de coordination dans l’action des communautés utilisatrices.

LES SIX PROCHAINS MOIS

La langue IEML existe déjà. Son élaboration a été financée à hauteur d’un million de dollars dans un cadre académique. Nous avons également un prototype de l’éditeur. Il nous faut maintenant passer à une version professionnelle de l’éditeur afin de pouvoir répondre aux besoins du marché identifié à la section précédente. Nous avons pour cela besoin d’un investissement privé d’environ 226 K US$, qui servira essentiellement au développement d’une plateforme d’édition collaborative pourvue de l’interface adéquate. Avis aux investisseurs. 

IEML est fondé sur les grandes découvertes de la linguistique du XXe siècle. Dans cette entrée de blog nous allons étudier successivement les héritages de Chomsky; de Saussure et de l’école structuraliste; de Tesnière et du modèle actantiel de la phrase; de Benveniste, Wittgenstein et Austin pour leurs solutions aux problèmes épineux de l’énonciation et de la pragmatique. Je conclurai en essayant de dissiper un des principaux malentendus au sujet d’IEML: ce n’est pas une langue “vraie” (une langue n’est ni vraie ni fausse, elle est conventionnelle), mais une langue claire.

[For an English version of this article see here.]

Fragonard La liseuse

L’héritage de Chomsky et les langages réguliers

Commençons par évoquer la dette d’IEML à l’égard de Noam Chomsky, un des géants de la linguistique et des sciences cognitives du XXe siècle. Pour le professeur du MIT, la capacité linguistique est un trait génétiquement déterminé de l’espèce humaine. Les langues, malgré leur diversité et leur évolution continuelle, partagent toutes la même “grammaire universelle” correspondant à cette habileté linguistique innée. Cette théorie expliquerait pourquoi les enfants apprennent spontanément et si vite à parler, sans qu’on ait besoin de leur donner des leçons de grammaire. Chomsky a exposé une version formelle – d’ailleurs contestée et plusieurs fois révisée – de la grammaire universelle. La découverte scientifique la plus précieuse de Chomsky est probablement sa théorie des langages réguliers : il a démontré qu’il existait une correspondance entre l’algèbre et la syntaxe formelle. La langue est donc en principe un objet calculable, au moins sur un plan syntaxique . Pour qu’une langue puisse être manipulée facilement par les ordinateurs, c’est-à-dire calculable, il faut qu’elle soit un langage régulier au sens de Chomsky: une sorte de code mathématique. Or les langues naturelles ne sont évidemment pas des langages réguliers. Les langages réguliers effectivement utilisés aujourd’hui sont des langages de programmation. Mais la “sémantique” des langages de programmation n’est autre que l’exécution des opérations qu’ils commandent. Aucun d’eux n’approche la capacité expressive d’une langue naturelle, qui permet de parler de tout et de rien et d’accomplir bien d’autres actes illocutoires que de donner des instructions à une machine. Notons au passage que Hjelmslev critiquait l’expression de « langue naturelle » à laquelle il préférait celle de langue philologique ou langue passe-partout. En effet, on peut tout dire en Espéranto, par exemple, bien que ce soit une langue construite et non pas naturelle. L’Espéranto est donc une langue philologique. Hélas, la sémantique de l’Espéranto n’est pas plus calculable que celle du Français ou de l’Arabe. A cause de leur irrégularité, les ordinateurs n’ont aujourd’hui accès aux langues philologiques que sur un mode statistique. C’est pourquoi notre âge numérique a besoin d’une langue philologique transparente aux algorithmes et donc régulière. IEML est la solution que j’ai trouvée au problème de la construction d’une langue philologique à la sémantique calculable. La calculabilité de sa sémantique n’est évidemment pertinente que s’il s’agit d’une langue philologique, permettant de « tout dire ». Et puisque la sémantique de cette langue devait être calculable, sa syntaxe devait a fortiori l’être aussi. C’est pourquoi IEML est un langage régulier au sens de Chomsky. Mais si le fait d’être un langage régulier était une condition nécessaire à la calculabilité de sa sémantique, ce n’en était pas une condition suffisante. Souvenons-nous que les langages réguliers actuellement en usage ont une sémantique restreinte : ce ne sont pas des langues philologiques. Comment conférer une sémantique philologique à un langage régulier ? Pour répondre à cette question, je me suis appuyé sur les enseignements de Saussure et de ses successeurs.

L’héritage de Saussure et le structuralisme

Selon Ferdinand de Saussure (1857-1913), un des pères de la linguistique contemporaine, les symboles linguistiques sont constitués de deux parties, le signifiant (une image acoustique ou visuelle) et le signifié (un concept ou une catégorie abstraite). Le rapport entre les deux parties du symbole est conventionnel ou arbitraire. Saussure a également montré que le plan du signifiant, ou la phonologie des langues, était basé sur un système de différences entre les sons, chaque langue ayant sa propre liste de phonèmes et surtout sa propre manière de disposer les seuils de passage entre deux phonèmes dans le continuum sonore. Un phonème n’existe pas de manière isolée, en dehors d’un éventail de variations, un peu comme les notes de musique n’existent que par rapport à un système musical. De la même manière, les signifiés ne sont pas des atomes de sens se suffisant à eux-mêmes mais correspondent à des positions dans des systèmes de différences : les paradigmes. La sémantique linguistique ne s’ancre donc pas dans des réalités naturelles fixes et indépendantes, mais dans un processus de comparaison, d’opposition, de différenciation et de renvois entre signifiés au sein d’une grille systémique bouclée sur elle-même, comme le sens d’un mot dans le dictionnaire est défini par d’autres mots qui, eux-mêmes, etc. Les travaux de Saussure ont été notamment poursuivis par Louis Hjemslev (1899-1965), qui a approfondi l’analyse du signe linguistique et a plaidé pour un maximum de rigueur épistémologique dans le traitement du langage, jusqu’à un idéal quasi-algébrique. Hjemslev a rebaptisé l’opposition entre signifiant et signifié en décrivant deux « plans » linguistiques celui de l’expression (le signifiant) et celui du contenu (le signifié). Chacun des deux plans est à son tour analysé en matière et forme. La matière de l’expression est de l’ordre du phénomène sensible, par exemple visuel ou sonore. Par contraste, la forme de l’expression désigne les unités abstraites qui résultent du découpage structurel des signifiants dans une langue donnée. Par exemple, le phonème « a » représente une forme bien déterminée qui s’oppose dans telle ou telle langue au phonème « o ». C’est ce qui permet en français, par exemple, de distinguer entre « bas » et « beau ». En revanche la forme « a » peut être remplie par un grand nombre de matières sonores distinctes selon les voix, les accents, etc. La matière est de l’ordre du continuum concret alors que la forme est de l’ordre du système d’oppositions abstrait. Il en est de même pour le contenu. Hjemslev a supposé qu’il existait un continuum du signifié, une sorte de magma abritant virtuellement l’ensemble des catégories possibles : la matière du contenu. Cette matière est découpée et organisée en paradigmes de manière différente pour chaque langue. En fin de compte, une langue quelconque organise une correspondance particulière entre forme de l’expression et forme du contenu. Le courant structuraliste initié par Saussure et poursuivi par Hjemslev a été prolongé par Julien Algirdas Greimas (1917-1992) et François Rastier (1945- ). Tout en maintenant vivante la tradition qui conçoit l’existence relativement autonome d’un monde des signifiés, ces auteurs ont notamment étendu l’analyse structurale du niveau des mots et des phrases jusqu’au niveau du texte, en particulier grâce à la notion d’isotopie. Revenons maintenant à notre problème : comment construire une langue qui soit simultanément philologique et régulière ? Non seulement les langues sont conventionnelles, mais elles ne peuvent pas ne pas l’être. La correspondance entre signifiant et signifié, ou expression et contenu, est arbitraire par nature. Puisque les langues sont nécessairement conventionnelles, rien n’interdit d’en construire une dont l’arrangement des signifiants soit de type “langage régulier”. Nous savons qu’un langage régulier possède une syntaxe calculable. Or la syntaxe régit les éléments signifiants de la langue, les phonèmes et leurs enchaînements, à plusieurs niveaux de complexité emboîtés. Puisqu’aussi bien les signifiants que les signifiés doivent être organisés par un système de différences, rien n’interdit non plus de donner  – par convention – à ce langage régulier un système de différences des signifiés (une forme du contenu) qui soit une fonction mathématique de celui des signifiants (la forme de l’expression). En accord avec les théories de Saussure et de ses successeurs, les unités de la langue IEML, à commencer par les morphèmes, mais aussi les unités lexicales, les phrases et les super-phrases sont organisées en paradigmes. Ces systèmes de variations sur fond de constantes – ou groupes de transformations – permettent aux unités linguistiques de s’entre-définir et de s’expliquer réciproquement. Or – en IEML – ce sont les mêmes paradigmes qui structurent l’expression et le contenu. Voici donc le principe de résolution de notre problème : dans un langage régulier dont le système de différences des signifiés est une fonction calculable de celui des signifiants, non seulement la syntaxe mais également la sémantique est calculable. C’est précisément le cas d’IEML, qui est donc une langue à la sémantique calculable !

L’héritage de Tesnière et la linguistique cognitive

Parmi toutes les fonctions du langage, l’une des plus importantes est de supporter la construction et la simulation de modèles mentaux [Je m’inspire ici notamment de l’étude de Philip Johnson-Laird, Mental Models, Harvard University Press, 1983]. L’architecture linguistique des modèles mentaux n’est évidemment pas exclusive de modes de représentation sensori-moteurs, et notamment visuels, qui peuvent se rapporter aussi bien à des mondes fictionnels qu’à la réalité vécue. Des linguistes comme Ronald Langacker (1942- ) et George Lakoff (1941- ), qui sont parmi les principaux chefs de file du courant de la linguistique cognitive, ont particulièrement étudié cette fonction de modélisation mentale. La capacité de représenter des « scènes » – à savoir des processus mis en oeuvre par des actants dans certaines circonstances – est une condition sine qua non du travail de modélisation accompli par le langage. Elle fonde la faculté narrative, puisqu’un récit peut être ramené à un enchaînement hypertextuel de scènes, moyennant certaines relations d’anaphore et d’isotopie. J’ajoute qu’en spécifiant les rapports entre processus et/ou entre actants, la scénographie linguistique fonde également la représentation des relations causales. Puisqu’une des missions d’IEML est de servir d’outil formel de modélisation, il doit non seulement organiser un morphisme entre sa sémantique et sa syntaxe, mais également systématiser et faciliter autant que possible la représentation des processus, des actants, des circonstances et de leurs interactions. Pour ce faire, IEML a intégré, avec quelques ajustements, le modèle actantiel de la phrase que Tesnière, préfigurant la linguistique cognitive, avait proposé dès le milieu du XXe siècle.

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Figure 1: Exemple d’arbres de dépendance ou « stemmas » de Tesnière CC BY-SA 3.0, Wikimedia Commons.

En effet, outre le courant structuraliste, la grammaire d’IEML a aussi été largement influencée par l’oeuvre majeure de Lucien Tesnière (1893-1954). Ce linguiste français a été le premier à présenter une grammaire universelle fondée sur les arbres de dépendance, qui met en évidence le lien intime entre syntaxe et sémantique (voir la Figure 1). Bien que les deux systèmes aient été élaborés indépendamment, les arbres de dépendance de Tesnière sont proches des arbres syntaxiques de Chomsky. Tesnière a aussi proposé une théorie subtile de la translation entre les « parties du discours » que sont les verbes, noms, adverbes et adjectifs. Il a surtout développé le modèle actantiel de la phrase dont s’inspire la fonction syntagmatique d’IEML. La citation suivante, extraite de son oeuvre posthume Eléments de syntaxe structurale, explique bien le principe du modèle actantiel : « Le noeud verbal (…) exprime tout un petit drame. Comme un drame, en effet, il comporte (…) un procès et, le plus souvent, des acteurs et des circonstances. Le verbe exprime le procès. (…) Les actants sont des êtres ou des choses (…) participant au procès. (…) Les circonstants expriment les circonstances de temps, lieux, manière, etc. » [Lucien Tesnière, Eléments de syntaxe structurale, Klincksieck, Paris 1959: 102, Chapitre 48] Le modèle actantiel de Tesnière a notamment été repris et développé par deux importants linguistes contemporains, Igor Melchuk (1932- ) et Charles Fillmore (1929-2014). La grammaire des cas de Fillmore publiée en 1968, a été étendue dans les années 1980 à une conception quasi-encyclopédique de la sémantique linguistique notamment mise en oeuvre dans le projet FrameNet centré sur la langue anglaise et qui inspire plusieurs programmes d’intelligence artificielle. Les frames ou « cadres » en français décrivent la manière dont les mots conviennent les uns avec les autres et déterminent mutuellement leurs sens dans une phrase. Par exemple, lorsqu’on utilise le verbe « attaquer » à la voix active, le sujet grammatical est forcément un assaillant et l’objet grammatical une victime de l’attaque. L’approche adoptée par IEML est compatible avec les théories de Fillmore, les cas correspondant aux rôles syntagmatiques et l’équivalent des cadres étant les paradigmes de phrases. Quant à Igor Melchuk, sa contribution la plus originale concerne la morphologie, c’est-à-dire la structure des mots et leurs rapports. Il a en particulier décrit les fonctions lexicales qui règlent les collocations – c’est-à-dire les mots qui vont ou ne vont pas ensemble – et les relations sémantiques entre les unités lexicales d’une langue. Un exemple simple de fonction lexicale est « PLUS » comme dans : [PLUS (colline) = montagne] ou [PLUS (ruisseau) = rivière]. Les fonctions lexicales sont notamment utilisées pour construire des dictionnaires explicatifs et combinatoires (monolingues) et elles alimentent, comme les cadres de Fillmore, certains programmes de traitement automatique des langues naturelles. IEML intègre les principales fonctions lexicales mises en évidence par Melchuk, ce qui permet de composer facilement de nouveaux mots à partir des éléments du dictionnaire et d’expliciter formellement les relations sémantiques entre unités lexicales. Quant aux collocations selon Melchuk elles sont proches des cadres de Fillmore et sont – comme eux – traduites en IEML par des paradigmes de phrases. En somme, de nombreux linguistes ont souligné l’importance de la fonction modélisatrice du langage. Suivant leurs traces, IEML offre à ses locuteurs les outils grammaticaux nécessaires pour décrire des scènes et raconter des histoires. De plus, IEML permet de modéliser un domaine de connaissance spécialisé ou un champ sémantique particulier par la libre élaboration de terminologies (paradigmes de radicaux) et de phrases-cadres (paradigmes de phrases).

Austin, Wittgenstein et l’héritage pragmatique

La langue est une structure abstraite qui combine des paradigmes de morphèmes (atomes de sens indécomposables) et des règles de compositions des unités grammaticales (mots, phrases…) à partir des morphèmes. Par contraste, la parole – ou le texte – est une séquence de morphèmes particulière qui actualise le système de la langue. En ce sens, les terminologies et les phrases-cadres d’IEML appartiennent à une catégorie intermédiaire entre la langue et la parole. Ils font partie de la parole dans la mesure où ils sont librement créés à partir du dictionnaire de morphèmes initial et des règles de construction de syntagmes. Mais ils appartiennent encore à la langue puisque ce ne sont pas à proprement parler des énonciations en contexte. Ce n’est qu’au niveau de l’énonciation, en effet, que se déploient les actes de langages, c’est-à-dire la dimension pragmatique des langues. Or il ne s’agit pas de choisir entre la fonction modélisatrice ou représentative des langues, qui vient d’être évoquée à la section précédente, et leur fonction pratique, que nous allons survoler dans cette section. Bien au contraire : la fonction de représentation et la fonction pratique se soutiennent mutuellement. Sans modèle du monde, l’action n’a pas de sens et sans plongement dans quelque situation pratique, la représentation perd toute pertinence. Quoiqu’on puisse faire remonter la réflexion sur la puissance pratique du langage à la rhétorique antique ou aux plus anciennes réflexions de l’école confucéenne, je me limiterai ici à quelques grands auteurs : Emile Benvéniste pour l’étude de l’énonciation et de la fonction déictique, Ludwig Wittgenstein pour la question de la référence et des jeux de langage, John L. Austin pour la notion même de pragmatique linguistique. Relèvent de la pragmatique linguistique les actes accomplis dans le langage mais qui ont des conséquences extra-linguistiques, comme par exemple baptiser, interdire, condamner, etc. Puisqu’ils sont accomplis dans le langage, ces actes sont de nature symbolique. Ils sont par conséquent régis par des règles et accomplis par des « joueurs » qui tiennent des rôles déterminés. Une multitude de jeux de langage, selon l’expression de Wittgenstein, animent donc la dimension pragmatique qui s’ouvre avec l’énonciation. Une langue peut elle-même être assimilée à un système de règles ou à un jeu. Et si cette langue est philologique elle est capable à son tour de définir une multitude de langues restreintes, de systèmes de règles ou de jeux, qui sont autant de manières distinctes de l’utiliser dans la pratique. IEML étant une langue philologique, nous l’utiliserons non seulement pour modéliser un champ sémantique quelconque, représenter des scènes et raconter des histoires, mais aussi pour expliciter des jeux de langages dont nous formaliserons les règles, les rôles et les coups au moyen de terminologies et de phrases-cadres. Lorsqu’ils reconnaîtront les actes de langages accomplis par les locuteurs d’IEML, des algorithmes pourront déclencher automatiquement leurs conséquences extra-linguistiques et notamment calculer les nouveaux états des « parties » en cours. J’évoquerai ici quatre grands types d’actes de langage qui sont particulièrement pertinents pour IEML : la référence, le raisonnement, la communication sociale et les instructions données à des machines. La première fonction de l’énonciation est de faire référence à des objets non-linguistiques. Une de ses formes les plus évidentes est la distribution des rôles interlocutoires : les première, seconde ou troisième personnes indiquent qui parle, à qui et de quoi. Mentionnons également les possessifs (liés à la distribution des personnes grammaticales), les démonstratifs comme « ça, ici, là-bas », les adverbes comme « aujourd’hui », « demain », etc. Or un texte – ou un énoncé – ne permet pas d’interpréter les déictiques comme « je », « ça » ou « demain ». Seul l’événement d’une énonciation par quelqu’un, dans un contexte spatio-temporel d’interlocution défini, peut leur donner un contenu [« « Je » » signifie « la personne qui énonce la présente instance du discours contenant « je ». » (Emile Benveniste)] . Cette fonction référentielle du langage est particulièrement importante pour IEML, qui a pour vocation de catégoriser des données et donc – par nécessité – de les indexer. Aussi bien la distribution des rôles interlocutoires que la catégorisation des données peuvent se conformer à un grand nombre de jeux de référence distincts. Par exemple, pour interpréter un « nous » il faut connaître le système de distribution des personnes auquel il obéit : pluriel de majesté, chercheurs d’une même discipline, membres d’un tribunal, citoyens d’une nation en guerre…? D’autre part, la catégorisation des données en IEML prend un sens différent selon que l’indexation est faite par un algorithme ou par un humain. Dans le cas de l’indexation automatique, s’agit-il d’un algorithme statistique basé sur un corpus indexé manuellement ? Et dans ce dernier cas, indexé par qui, selon quels critères, etc. Dans le même ordre d’idée, il peut être utile de savoir si un texte est cité (encore un geste déictique) en tant que partie d’un corpus de référence, comme une autorité pour renforcer la crédibilité des idées de l’auteur, pour être critiqué, ou encore pour une autre raison. En somme, l’opération de référence est un acte de langage, cet acte relève d’une multitude de jeux possibles, et ces jeux peuvent être explicités en IEML. Le raisonnement est encore un autre type de jeu de langage modélisable en IEML. Citons dès maintenant, en suivant la typologie de Charles S. Peirce, (1) les divers genres de raisonnement déductifs, (2) les raisonnements inductifs – incluant les calculs statistiques – et (3) les raisonnements abductifs, qui construisent des modèles causaux d’un domaine ou d’un processus. On remarquera que le raisonnement suppose la plupart du temps la référence et que cette dernière est souvent faite pour appuyer le raisonnement. Les jeux de langage qui ont le plus été étudiés par les spécialistes de la pragmatique, à commencer par Austin et Searle, sont les jeux de communication sociale, qui comprennent par exemple les assertions, les questions, les ordres, les promesses, les remerciements, les nominations, etc. Mais nous pouvons ajouter à ce type de jeux les transactions, les contrats et tout ce qui relève des arrangements légaux et des échanges économiques, qui passent de plus en plus par des canaux électroniques et qui auraient avantage à être exprimés dans un langage transparent, univoque et calculable comme IEML. Finalement, puisque nous vivons dans un environnement de plus en plus robotisé, les instructions données à des machines, tout comme d’ailleurs les informations – parfois vitales – que les machines nous transmettent, font évidemment partie des actes de langage aux importantes conséquences extra-linguistiques. Parce que les ordinateurs peuvent décoder IEML et qu’IEML se traduit en langues naturelles, notre métalangage pourrait devenir le noyau logiciel d’une interface ubiquitaire et interopérable entre humains et machines.

Une image du monde ou une image de soi ?

Dans le Tractatus Logico Philosophicus, l’ouvrage de jeunesse qui l’a fait connaître, Wittgenstein examine à quelles conditions les propositions logiques présentent une image fidèle de la réalité. Le monde étant conçu par notre philosophe viennois comme « tout ce qui arrive », chaque fait ou événement devrait être représenté par une proposition dont la structure logico-grammaticale reflète la structure interne du fait. L’idée d’un langage parfait ou d’une langue transparente est souvent associée à cet idéal d’isomorphie entre les expressions du langage et les réalités qu’elles décrivent ou, en d’autres termes, entre la parole et sa référence. Rien n’est plus loin du projet d’IEML. Plutôt que de poursuivre la chimère au parfum vaguement totalitaire d’une langue de la vérité (la vérité se ramène à la correspondance entre parole et réalité), j’ai poursuivi un objectif moins contraignant et surtout plus atteignable : celui d’une langue de la clarté, aussi univoque et traductible que possible. A l’idéal d’une langue logique qui reflèterait des états de choses, j’ai substitué celui d’une langue philologique dont la forme algébrique de l’expression reflèterait la forme du contenu conceptuel : une langue qui serait une image d’elle-même avant d’être une image du monde. Par définition, cette correspondance interne ne relève pas du vrai et du faux mais de la convention utile. Quant au rapport d’IEML avec la réalité extralinguistique, elle relève d’une multitude de jeux de langages (je suis ici le Wittgenstein de la maturité, tel qu’il s’est exprimé dans les Philosophical Investigations), multitude qui englobe les diverses manières de découper, reconnaître et désigner des objets pertinents selon les contextes pratiques. Et grâce à la capacité de description universelle propre à toutes les langues philologiques, nous pouvons modéliser ces multiples jeux de langages en IEML. Cette approche respecte aussi bien la liberté que la créativité de ses locuteurs tout en autorisant ces derniers à se coordonner entre eux et avec les machines. Reprenons la classification des différents niveaux de la sémantique – linguistique, référentielle et illocutoire. Notre métalangage clarifie les relations entre signifiés et signifiants ainsi que les relations entre signifiés au point de pouvoir automatiser leur traitement. Le principal apport d’IEML se situe donc au niveau de la sémantique linguistique. Quant à la sémantique référentielle – le pointage vers des réalités extra-linguistiques – elle peut devenir plus précise dans la mesure où les différents modes de référence sont précisés en IEML. Enfin, la force illocutoire des énonciations, c’est-à-dire les « coups » qui sont joués dans une multitude de jeux de communication sociale, peuvent être reconnus par des algorithmes et traités en conséquence, à condition que les jeux en question aient préalablement été décrits en IEML. En somme, la formalisation de la sémantique linguistique nous offre la clé de la formalisation de la sémantique en général.

Brève bibliographie

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