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Entretien avec Prof. Dr. Pierre Lévy

Voir la publication en portugais et en anglais ici: https://www.pucpress.com.br/wp-content/uploads/2025/05/CADERNOS_DO_CONTEMPORANEO_0000_P.pdf

Vassily Kandinsky, 1913

Q1- Face à l’hyper-connectivité croissante chez les jeunes, de nombreux experts parlent de solitude et de ce qu’ils appellent “l’âge des passions tristes”. Comment voyez-vous cette dichotomie entre proximité et distance que la technologie provoque dans les relations humaines?

R1 – L’hyper-connectivité ne concerne pas seulement les jeunes, elle est partout. Un des facteurs principaux de l’évolution culturelle réside dans le dispositif matériel de production et de reproduction des symboles, mais aussi dans les systèmes logiciels d’écriture et de codage de l’information. Notre intelligence collective prolonge celle des espèces sociales qui nous ont précédées, et particulièrement celle des grands singes. Mais l’usage du langage – et d’autres systèmes symboliques – tout comme la force de nos moyens techniques nous a fait passer du statut d’animal social à celui d’animal politique. Proprement humaine, la Polis émerge de la symbiose entre des écosystèmes d’idées et les populations de primates parlants qui les entretiennent, s’en nourrissent et s’y réfléchissent. L’évolution des idées et celles des peuplements de Sapiens se déterminent mutuellement. Or le facteur principal de l’évolution des idées réside dans le dispositif matériel de reproduction des symboles. Au cours de l’histoire, les symboles (avec les idées qu’ils portaient) ont été successivement pérennisés par l’écriture, allégés par l’alphabet et le papier, multipliés par l’imprimerie et les médias électriques. Les symboles sont aujourd’hui numérisés et calculés, c’est-à-dire qu’une foule de robots logiciels – les algorithmes – les enregistrent, les comptent, les traduisent et en extraient des patterns. Les objets symboliques (textes, images fixes ou animées, voix, musiques, programmes, etc.) sont non seulement enregistrés, reproduits et transmis automatiquement, ils sont aussi générés et transformés de manière industrielle. En somme, l’évolution culturelle nous a menés au point où les écosystèmes d’idées se manifestent sous la forme de données animées par des algorithmes dans un espace virtuel ubiquitaire. Et c’est dans cet espace que se nouent, se maintiennent et se dénouent désormais les liens sociaux. Avant de critiquer ou de déplorer, il faut d’abord reconnaître les faits. Les amitiés des jeunes gens ne peuvent plus se passer des médias sociaux ; les couples se rencontrent sur internet, par exemple sur des applications comme Tinder (voir la Figure 1) ; les familles restent connectées par Facebook ou d’autres applications comme WhatsApp ; les espaces de travail ont basculé dans l’électronique avec Zoom et Teams, particulièrement depuis la pandémie de COVID ; la diplomatie se fait de plus en plus sur X (ex Twitter), etc. On ne reviendra pas en arrière. D’un autre côté, on ne se déplace pas moins de manière physique : en témoignent les embouteillages monstrueux de Sao Paulo et Rio de Janeiro. Dans le même ordre d’idées, la tendance sur les dix dernières années – époque de croissance exponentielle des connexions Internet – montre aussi une augmentation du nombre de passagers aériens, qui continue une tendance séculaire, et cela malgré une baisse importante durant la pandémie de COVID-19.

Je me sentais bien seul lorsque, jeune étudiant, je suis arrivé à Paris du sud de la France, pour faire mes études universitaires. C’était en 1975 et il n’y avait pas d’internet. Les seniors qui vivent seuls et que leurs enfants ne visitent pas doivent-ils blâmer Internet? Le problème de la solitude et de la désagrégation des liens sociaux est bien réel. Mais c’est une tendance déjà ancienne, qui tient à l’urbanisation, aux transformations de la famille et à bien d’autres facteurs. J’invite vos lecteurs à consulter les nombreux travaux sur la question du “capital social” (la quantité et à la qualité des relations humaines). L’internet n’est qu’un des nombreux facteurs à considérer sur cette question.

Figure 1

Q2- Dans vos livres “Collective Intelligence: For an anthropology of cyberspace” (1994) et “Cyberculture: The Culture of the Digital Society” (1997), vous soutenez qu’Internet et les technologies numériques développent l’intelligence collective, permettant de nouvelles formes de collaboration et de partage des connaissances. Cependant, on craint de plus en plus que l’utilisation excessive des médias sociaux et des technologies numériques soit associée à une distraction et à un retard d’apprentissage chez les jeunes. Comment voyez-vous cette apparente contradiction entre le potentiel des technologies à renforcer l’intelligence collective et les effets négatifs qu’elles peuvent avoir sur le développement cognitif et éducatif des jeunes?

R2- Je n’ai jamais soutenu qu’Internet et les technologies numériques, par eux-mêmes et comme si les techniques étaient des sujets autonomes, développent l’intelligence collective. J’ai soutenu que le meilleur usage que nous pouvions faire d’internet et des technologies numériques était de développer l’intelligence collective humaine, ce qui est bien différent. Et c’est d’ailleurs toujours ce que je pense. L’idée d’un « espace du savoir » qui pourrait se déployer au-dessus de l’espace marchand est un idéal régulateur pour l’action, non une prédiction de type factuel. Lorsque j’ai rédigé L’Intelligence Collective – de 1992 à 1993 – moins de 1% de l’humanité était branchée sur l’Internet et le Web n’existait pas. Vous ne trouverez nulle part le mot « web » dans l’ouvrage. Or nous avons aujourd’hui – en 2024 – largement dépassé les deux tiers de la population mondiale connectée à l’Internet. Le contexte est donc complètement différent mais le changement de civilisation que je prévoyais il y a 30 ans semble évident aujourd’hui, bien qu’il faille attendre normalement plusieurs générations pour confirmer ce type de mutation. A mon sens, nous ne sommes qu’au commencement de la révolution numérique.

Quant à l’augmentation de l’intelligence collective, de nombreux pas ont été franchis pour mettre les connaissances à la portée de tous. Wikipédia est l’exemple classique d’une entreprise qui fonctionne en intelligence collective avec des millions de contributeurs bénévoles de tous les pays et des groupes de discussion entre experts pour chaque article. Il y a près de sept millions d’articles en anglais, deux millions et demi d’articles en français et plus d’un million d’articles en portugais. Wikipédia est consulté par plusieurs dizaines de millions de personnes par jour et plusieurs milliards par an! Le logiciel libre – maintenant largement adopté et diffusé, y compris par les grandes entreprises du Web – est un autre grand domaine où l’intelligence collective est au poste de commande. Parmi les plus utilisés des logiciels libres citons le système d’exploitation Linux, les navigateurs Mozilla et Chromium, la suite Open Office, le serveur http Apache (qui est le plus utilisé sur Internet), le système de contrôle des versions GIT, la messagerie Signal, et bien d’autres qu’il serait trop long de citer. J’ajoute que les bibliothèques et les musées numérisés, comme les articles scientifiques en accès libre et les sites de type ArXiv.org, sont monnaie courante, ce qui transforme les pratiques de recherche et de communication scientifique. Tout le monde peut aujourd’hui publier des textes sur son blog, des vidéos et des podcasts sur YouTube ou d’autres sites, ce qui n’était pas le cas il y a trente ans. Les médias sociaux permettent d’échanger des nouvelles et des idées très rapidement, comme on le voit par exemple sur LinkedIn ou X (ex Twitter). Internet a donc réellement permis le développement de nouvelles formes d’expression, de collaboration et de partage des connaissances. Beaucoup reste à faire. Nous ne sommes qu’au tout début de la mutation anthropologique en cours.

Bien entendu, il nous faut prendre en compte les phénomènes d’addiction aux jeux vidéos, aux médias sociaux, à la pornographie en ligne, etc. Mais depuis plus de trente ans, la majorité des journalistes, des hommes politiques, des enseignants et de tous ceux qui font l’opinion ne cessent de dénoncer les dangers de l’informatique, puis de l’Internet et maintenant de l’intelligence artificielle. Je ne ferais rien de très utile si j’ajoutais mes lamentations aux leurs. J’essaye donc de faire prendre conscience d’une mutation de civilisation de grande ampleur qu’on n’arrêtera pas et d’indiquer les meilleurs moyens de diriger cette grande transformation vers les finalités les plus positives pour le développement humain. Ceci dit, il est clair que les phénomènes d’addiction trouvent partiellement leur source dans notre dépendance à l’architecture sociotechnique toxique des grandes compagnies du Web, qui utilise la stimulation dopaminergique et les renforcements narcissiques de la communication numérique pour nous faire produire toujours plus de données et vendre plus de publicité. Malheureusement la santé mentale des populations adolescentes est peut-être une des victimes collatérales des stratégies commerciales de ces grandes entreprises oligopolistiques. Comment s’opposer à la puissance de leurs centres de calcul, à leur efficacité logicielle et à la simplicité de leurs interfaces? Il est plus facile de poser la question que d’y répondre. En plus de la biopolitique évoquée par Michel Foucault, il faut maintenant considérer une psychopolitique à base de neuromarketing, de données personnelles et de gamification du contrôle. Les enseignants doivent avertir les étudiants de ces dangers et les former à la pensée critique.

Q3- Avec le phénomène des “bulles connectives”, où les réseaux sociaux ont tendance à renforcer des croyances et des idées préexistantes, limitant les contacts avec des perspectives différentes, comment voyez-vous l’évolution des liens sociaux à mesure qu’Internet et les plateformes numériques continuent de se développer? Ce type de segmentation pourrait-il affaiblir l’intelligence collective que vous prônez, ou y a-t-il encore de la place pour des connexions plus larges et plus collaboratives à l’avenir?

R3 – Il est clair que si l’on se contente de « liker » instinctivement ce que l’on voit défiler et de réagir émotionnellement aux images et aux messages les plus simplistes, le bénéfice cognitif ne sera pas très grand. Je ne me pose pas en modèle à suivre absolument, je voudrais seulement donner un exemple de ce qu’il est possible de faire si l’on un peu d’imagination et que l’on est prêt à remettre en cause l’inertie des institutions. Lorsque j’étais professeur en communication numérique à l’Université d’Ottawa, je forçais mes étudiants à s’inscrire sur Twitter, à choisir une demi-douzaine de sujets intéressants pour eux et à dresser des listes de comptes à suivre pour chaque sujet. Quelque soit le thème – politique, science, mode, art, sports, etc. – ils devaient construire des listes équilibrées comprenant des experts ou des partisans d’avis opposés afin d’élargir leur sphère cognitive au lieu de la restreindre. Sur les médias sociaux les plus courants comme Facebook et LinkedIn, il est possible de participer à un grand nombre de communautés spécialisées dans des domaines culturels (histoire, philosophie, arts) ou professionnels (affaires, technologie, etc.) afin de se tenir au courant et de discuter avec des experts. Les groupes de discussion locaux par villages ou quartiers sont aussi très utiles. Tout est question de méthode et de pratique. Il faut se détacher du modèle des médias de masse (journaux papier, radio, télévision) dans lequel des récepteurs passifs consomment une programmation faite par d’autres. C’est à chacun de se bricoler sa propre programmation et de se construire ses réseaux personnels d’apprentissage.

Avant l’imprimerie, on ne parlait qu’avec les gens de sa paroisse. Dans les années soixante du XXe siècle on n’avait le choix qu’entre deux ou trois chaines de télévision et deux ou trois journaux. Aujourd’hui nous avons accès à une énorme diversité de sources en provenance de tous les pays et de tous les secteurs de la société. Les enseignants doivent alphabétiser les étudiants, leur apprendre les langues étrangères, leur donner une bonne culture générale et les guider dans ce nouvel univers de communication.

Q4- Actuellement, il y a un débat croissant sur les effets négatifs de la technologie sur la santé mentale des jeunes, en mettant l’accent sur des problèmes tels que l’anxiété, la dépression et l’isolement social. Considérant le rôle central que jouent les technologies numériques dans notre société, comment comprenez-vous cette relation entre l’usage intensif des technologies et l’augmentation des problèmes de santé mentale chez les jeunes? Existe-t-il un moyen d’équilibrer les avantages de la technologie avec la nécessité de préserver le bien-être mental?

R4 – Le problème de la santé mentale des jeunes est bien sûr tout à fait réel, mais il serait réducteur de l’attribuer uniquement aux médias sociaux. Néanmoins je vais essayer d’énumérer quelques problèmes psychologiques qui naissent de l’usage des Technologies numériques.

Il y a d’abord la transformation de l’autoréférence subjective, qui risque de mener à des problèmes de type schizophrénique. Notre champ d’expérience est médiatisé par le support numérique : la boucle d’autoréférence est plus large que jamais. Nous interagissons avec des personnes, des robots, des images, des musiques par le biais de plusieurs interfaces multimédias : écran, écouteurs, manettes… Notre expérience subjective est contrôlée par les algorithmes de multiples applications qui déterminent en boucle (si nous n’avons pas appris à les maîtriser) notre consommation de données et nos actions en retour. Notre mémoire est dispersée dans de nombreux fichiers, bases de données, en local et dans le cloud… Lorsqu’une grande partie de nous-mêmes est ainsi collectivisée et externalisée, le problème des limites et de la détermination de l’identité devient prépondérant. À qui appartiennent les données me concernant, qui les produit ?

Le problème du narcissisme est particulièrement évident sur Instagram et les applications même genre. Notre ego est nourri par l’image que les autres nous renvoient dans le médium algorithmique. L’obsession de l’image atteint des proportions inquiétantes. Combien d’abonnés, combien de likes, combien d’impressions? Pour ceux qui ont sombré dans ce gouffre, la valeur de l’être n’est plus que dans le regard de l’autre. Avant d’être un problème de santé mentale il s’agit d’un problème de sagesse élémentaire.

A l’opposé du narcissisme, nous avons une tendance vers l’autisme. Ici le moi est enfermé dans sa vie intérieure, mais alimenté par des sources d’information en ligne. Le code ou certains aspects de la culture populaire deviennent obsessionnels. C’est le domaine des geeks, des Otakus et des joueurs compulsifs. Il est évidemment malsain de se passer de toute vie sociale en chair et en os.

Il existe un problème de santé mentale si les affects sont constamment euphoriques, ou constamment dysphoriques, ou si un objet exclusif devient addictif. En effet, Internet peut nous rendre dépendants à certains objets (actualités, séries, jeux, pornographie) ou à certaines émotions, qu’elles soient positives (contenu « feel-good » de type chats mignons, danse, humour, etc.) ou négatives (actualités catastrophiques, « doom scrolling ») de manière déséquilibrée. On peut aussi se demander dans quelle mesure il est bon que le langage corporel soit entièrement remplacé par des emojis, des mèmes, des images, des avatars, etc.

L’addiction est créée par l’excitation (dopamine) et la satisfaction (endorphine) que nous voulons reproduire sans arrêt. Or, comme je l’ai dit plus haut, les modèles d’affaire des grandes entreprise du web qui sont axés sur l’engagement (sécrétion de dopamine-endorphine) conduisent presque inévitablement à la dépendance si les utilisateurs ne font pas attention. L’intensité d’engagement élevée pendant de trop longs moments mène inévitablement à une dépression.

Le contrôle des impulsions (agressivité, par exemple) est plus difficile dans les médias sociaux que dans la vie réelle parce que nos interlocuteurs ne se trouvent pas en face de nous. La « gestion des comportements toxiques » est d’ailleurs un problème majeur dans les jeux en ligne et les médias sociaux.

En somme, il faut être vigilant, prévenir les jeunes utilisateurs des dangers encourus et ne pas commettre d’excès.

Q5 – Certains prédisent que les générations futures pourraient ne plus jamais fréquenter l’école. Comment voyez-vous l’avenir de l’éducation dans un monde de plus en plus hyperconnecté et dominé par la technologie?

R5 – Je ne crois pas que l’école va disparaître. Mais elle doit se transformer. Il faut prendre les étudiants où ils sont et de préférence utiliser les produits grands public auxquels ils sont habitués pour en faire quelque chose d’utile sur le plan de l’apprentissage. Les élèves sont des « digital natives » mais cela ne veut pas dire qu’ils ont une véritable maîtrise des outils numériques. Il faut non seulement développer la littéracie numérique mais la littéracie tout court, qui en est indissociable. Je suis un grand partisan de la lecture des classiques et de la culture générale, qui est indispensable pour former l’esprit critique.

Pour revenir à mes propres méthodes pédagogiques, dans les cours que je donnais à l’Université d’Ottawa, je demandais à mes étudiants de participer à un groupe Facebook fermé, de s’enregistrer sur Twitter, d’ouvrir un blog s’ils n’en n’avaient pas déjà un et d’utiliser une plateforme de curation collaborative de données.

L’usage de plateformes de curation de contenu me servait à enseigner aux étudiants comment choisir des catégories ou « tags » pour classer les informations utiles dans une mémoire à long terme, afin de les retrouver facilement par la suite. Cette compétence leur sera fort utile dans le reste de leur carrière.

Les blogs étaient utilisés comme supports de « devoir final » pour les cours gradués (c’est-à-dire avant le master), et comme carnets de recherche pour les étudiants en maîtrise ou en doctorat : notes sur les lectures, formulation d’hypothèses, accumulation de données, première version d’articles scientifiques ou de chapitres des mémoires ou thèses, etc. Le carnet de recherche public facilite la relation avec le superviseur et permet de réorienter à temps les directions de recherche hasardeuses, d’entrer en contact avec les équipes travaillant sur les mêmes sujets, etc.

Le groupe Facebook était utilisé pour partager le Syllabus ou « plan de cours », l’agenda de la classe, les lectures obligatoires, les discussions internes au groupe – par exemple celles qui concernent l’évaluation – ainsi que les adresses électroniques des étudiants (Twitter, blog, plateforme de curation sociale, etc.). Toutes ces informations étaient en ligne et accessibles d’un seul clic, y compris les lectures obligatoires numérisées et gratuites. Les étudiants pouvaient participer à l’écriture de mini-wikis à l’intérieur du groupe Facebook sur des sujets de leur choix, ils étaient invités à suggérer des lectures intéressantes reliées au sujet du cours en ajoutant des liens commentés. J’utilisais Facebook parce que la quasi-totalité des étudiants y étaient déjà abonnés et que la fonctionnalité de groupe de cette plateforme est bien rodée. Mais j’aurais pu utiliser n’importe quel autre support de gestion de groupe collaboratif, comme Slack ou les groupes de LinkedIn.

Sur Twitter (maintenant X), la conversation propre à chaque classe était identifiée par un hashtag. Au début, j’utilisais le médium à l’oiseau bleu de manière ponctuelle. Par exemple, à la fin de chaque classe je demandais aux étudiants de noter l’idée la plus intéressante qu’ils avaient retenu du cours et je faisais défiler leurs tweets en temps réel sur l’écran de la classe. Puis, au bout de quelques semaines, je les invitais à relire leurs traces collectives sur Twitter pour rassembler et résumer ce qu’ils avaient appris et poser des questions – toujours sur Twitter – si quelque chose n’était pas clair, questions auxquelles je répondais par le même canal.

Au bout de quelques années d’utilisation de Twitter en classe, je me suis enhardi et j’ai demandé aux étudiants de prendre directement leurs notes sur ce medium social pendant le cours de manière à obtenir un cahier de notes collectif. Pouvoir regarder comment les autres prennent des notes (que ce soit sur le cours ou sur des textes à lire) permet aux étudiants de comparer leurs compréhensions et de préciser ainsi certaines notions. Ils découvrent ce que les autres ont relevé et qui n’est pas forcément ce qui les a stimulés eux-mêmes… Quand je sentais que l’attention se relâchait un peu, je leur demandais de s’arrêter, de réfléchir à ce qu’ils venaient d’entendre et de noter leurs idées ou leurs questions, même si leurs remarques n’étaient pas directement reliées au sujet du cours. Twitter leur permettait de dialoguer librement entre eux sur les sujets étudiés sans déranger le fonctionnement de la classe. Je consacrais toujours la fin du cours à une période de questions et de réponses qui s’appuyais sur un visionnement collectif du fil Twitter. Cette méthode est particulièrement pertinente dans les groupes trop grands (parfois plus de deux cents personnes) pour permettre à tous les étudiants de s’exprimer oralement. Je pouvais ainsi répondre tranquillement aux questions après la classe en sachant que mes explications restaient inscrites dans le fil du groupe. La conversation pédagogique se poursuit entre les cours. Bien entendu, tout cela n’était possible que parce que l’évaluation (la notation des étudiants) était basée sur leur participation en ligne.

En utilisant Facebook et Twitter en classe, les étudiants n’apprenaient pas seulement la matière du cours mais aussi une façon « cultivée » de se servir des médias sociaux. Documenter ses petits déjeuners ou la dernière fête bien arrosée, disséminer des vidéos de chats et des images comiques, échanger des insultes entre ennemis politiques, s’extasier sur des vedettes du show-business ou faire de la publicité pour telle ou telle entreprise sont certainement des usages légitimes des médias sociaux. Mais on peut également entretenir des dialogues constructifs dans l’étude d’un sujet commun. En somme, je crois que l’éducation doit progresser en direction de l’apprentissage collaborative en utilisant les outils numériques.

Q6 – Quelles sont, selon vous, les principales opportunités qu’Internet et les nouveaux outils d’IA peuvent apporter au domaine de l’éducation? Compte tenu de l’avancée accélérée des technologies numériques et de l’intelligence artificielle, comment voyez-vous évoluer le rôle de l’enseignant dans les années à venir?

R6 – Concernant l’intelligence artificielle (par exemple ChatGPT, MetaAI, Grok ou Gemini, qui sont tous gratuits et assez bons), elle peut être fort utile comme mentor des étudiants ou comme encyclopédie de premier recours, pour donner des réponses et des orientations très rapidement. Les étudiants utilisent déjà ces outils, il ne faut donc pas interdire leur usage mais, une fois encore, le cultiver, le faire passer à un niveau supérieur. Comme l’IA générative est de nature statistique et probabiliste, elle fait régulièrement des erreurs. Il faut donc toujours vérifier les informations sur de véritables encyclopédies, des moteurs de recherche, des sites spécialisés ou même… dans une bibliothèque! J’ajoute que plus on est cultivé et mieux on connaît un sujet et plus l’usage des IA génératives est fructueux, car on est alors capable de poser de bonnes questions et de demander des informations complémentaires lorsque l’on sent que quelque chose manque. L’IA n’est pas un substitut à l’ignorance, elle donne au contraire une prime à ceux qui ont déjà de bonnes connaissances.

Utiliser les IA génératives pour rédiger à notre place ou faire des résumés de texte au lieu de lire des livres n’est pas une bonne idée, au moins dans un usage pédagogique. Sauf bien sûr si cette pratique est encadrée par l’enseignant afin de stimuler l’esprit critique et le goût du beau style. Au moins en 2024, les textes de l’IA sont généralement redondants, banals et facilement reconnaissables. De plus, leurs résumés de documents ne parviennent pas à saisir ce qu’il y a de plus original dans un texte, puisqu’ils n’ont pas été entraînés sur des idées rares mais au contraire sur l’avis général que l’on retrouve partout. On apprend à penser en lisant et en écrivant en personne : donc les IA sont de bons auxiliaires mais en aucun cas de purs et simples remplacements de l’activité intellectuelle humaine.

Q-7- On craint de plus en plus que l’IA puisse supprimer de nombreux emplois à l’avenir. Comment pensez-vous que cela affectera le marché du travail et quelles pourraient être les solutions possibles?

Q-7 Du fait même de son nom, l’intelligence artificielle évoque naturellement l’idée d’une intelligence autonome de la machine, qui se pose en face de l’intelligence humaine, pour la simuler ou la dépasser. Mais si nous observons les usages réels des dispositifs d’intelligence artificielle, force est de constater que, la plupart du temps, ils augmentent, assistent ou accompagnent les opérations de l’intelligence humaine. Déjà, à l’époque des systèmes experts – lors des années 80 et 90 du XXe siècle – j’observais que les savoirs critiques de spécialistes au sein d’une organisation, une fois codifiés sous forme de règles animant des bases de connaissances, pouvaient être mis à la portée des membres qui en avaient le plus besoin, répondant précisément aux situations en cours et toujours disponibles. Plutôt que d’intelligences artificielles prétendument autonomes, il s’agissait de médias de diffusion des savoir-faire pratiques, qui avaient pour principal effet d’augmenter l’intelligence collective des communautés utilisatrices.

Dans la phase actuelle du développement de l’IA, le rôle de l’expert est joué par les foules qui produisent les données et le rôle de l’ingénieur cogniticien qui codifie le savoir est joué par les réseaux neuronaux. Au lieu de demander à des linguistes comment traduire ou à des auteurs reconnus comment produire un texte, les modèles statistiques interrogent à leur insu les multitudes de rédacteurs anonymisés du web et ils en extraient automatiquement des patterns de patterns qu’aucun programmeur humain n’aurait pu tirer au clair. Conditionnés par leur entraînement, les algorithmes peuvent alors reconnaître et reproduire des données correspondant aux formes apprises. Mais parce qu’ils ont abstrait des structures plutôt que de tout enregistrer, les voici capables de conceptualiser correctement des formes (d’image, de textes, de musique, de code…) qu’ils n’ont jamais rencontrées et de produire une infinité d’arrangements symboliques nouveaux. C’est pourquoi l’on parle d’intelligence artificielle générative. Bien loin d’être autonome, cette IA prolonge et amplifie l’intelligence collective. Des millions d’utilisateurs contribuent au perfectionnement des modèles en leur posant des questions et en commentant les réponses qu’ils en reçoivent. On peut prendre l’exemple de Midjourney (qui génère des images), dont les utilisateurs s’échangent leurs consignes (prompts) et améliorent constamment leurs compétences. Les serveurs Discord de Midjourney sont aujourd’hui les plus populeux de la planète, avec plus d’un million d’utilisateurs. Une nouvelle intelligence collective stigmergique émerge de la fusion des médias sociaux, de l’IA et des communautés de créateurs. Derrière « la machine » il faut entrevoir l’intelligence collective qu’elle réifie et mobilise.

L’IA nous offre un nouvel accès à la mémoire numérique mondiale. C’est aussi une manière de mobiliser cette mémoire pour automatiser des opérations symboliques de plus en plus complexes, impliquant l’interaction d’univers sémantiques et de systèmes de comptabilité hétérogènes.

Je ne crois pas une seconde à la fin du travail. L’automatisation fait disparaître certains métiers et en fait naître de nouveaux. Il n’y a plus de maréchaux ferrants, mais les garagistes les ont remplacés. Les porteurs d’eau ont fait place aux plombiers. La complexification de la société augmente le nombre des problèmes à résoudre. Les machines « intelligentes » vont surtout augmenter la productivité du travail cognitif en automatisant ce qui peut l’être. Il y aura toujours besoin de gens intelligents, créatifs et compassionnés mais ils devront apprendre à travailler avec les nouveaux outils.

Q-8 Certains auteurs évoquent l’inversion de “l’effet Flynn”, suggérant que les générations futures auront un niveau cognitif inférieur à celui de leurs parents. Comment voyez-vous cet enjeu dans le contexte des technologies émergentes? Pensez-vous que l’usage intensif des technologies numériques puisse contribuer à cette tendance, ou offrent-elles de nouvelles façons d’élargir nos capacités cognitives?

R-8 La baisse du niveau cognitif (et moral), est déplorée depuis des siècles par chaque génération, alors que l’effet Flynn montre justement l’inverse. Il est normal que l’on assiste à une stabilisation des scores de Quotient Intellectuel (QI) : l’espoir d’une augmentation constante n’est jamais très réaliste et il serait normal d’atteindre une limite ou un palier, comme dans n’importe quel autre phénomène historique ou même biologique. Mais admettons que les jeunes gens d’aujourd’hui aient de moins bons scores de QI que les générations qui les précèdent immédiatement. Il faut d’abord se demander ce que mesurent ces tests : principalement une intelligence scolaire. Ils ne prennent en compte ni l’intelligence émotionnelle, ni l’intelligence relationnelle, ni la sensibilité esthétique, ni les habiletés physiques ou techniques, ni même le bon sens pratique. Donc on ne mesure là quelque chose de limité. D’autre part, si l’on reste sur l’adaptation au fonctionnement scolaire que mesurent les tests de QI, pourquoi accuser d’abord les technologies? Peut-être y-t-il démission des familles face à la tâche éducative (notamment parce que les familles se défont), ou bien défaillance des écoles et des universités qui deviennent de plus en plus laxistes (parce que les étudiants sont devenus des clients à satisfaire à tout prix) ? Quand j’étais étudiant, le « A » aux examens n’était pas encore un droit… Il l’est quasiment devenu aujourd’hui.

Finalement, et il faut le répéter sans cesse, « l’usage des technologies numériques » n’a pas grand sens. Il y a des usages abrutissants, qui glissent sur la pente de la paresse intellectuelle, et des usages qui ouvrent l’esprit, mais qui demandent une prise de responsabilité personnelle, un effort d’autonomie et – oui – du travail. C’est le rôle des éducateurs de favoriser les usages positifs.

Q-9 Existe-t-il des frontières claires entre le monde réel et le monde virtuel? Qu’est-ce qui pourrait nous motiver à continuer dans le monde réel alors que le monde virtuel offre des possibilités d’interaction et de réussite quasi illimitées?

R-9 Il n’y a jamais eu de frontière claire entre le monde virtuel et le monde actuel. Où se trouve la présence humaine? Dès que nous assumons une situation dans l’existence, nous nous retrouvons immanquablement entre deux. Entre le virtuel et l’actuel, entre l’âme et le corps, entre le ciel et la terre, entre le yin et le yang. Notre existence s’étire dans un intervalle et la relation fondamentale entre le virtuel et l’actuel est une transformation réciproque. C’est un morphisme qui projette le sensible sur l’intelligible et inversement.

Une situation pratique comprend un contexte actuel : notre posture, notre position, ce qui se trouve autour de nous en ce moment précis, de nos interlocuteurs à l’environnement matériel. Elle implique aussi un contexte virtuel : le passé dans notre mémoire, nos plans et nos attentes, nos idées de ce qui nous arrive. C’est ainsi que nous discernons les lignes de force et les tensions de la situation, son univers de problèmes, ses obstacles et ses échappées. Les configurations corporelles n’ont de sens que par le paysage virtuel qui les entoure.

Nous ne vivons donc pas seulement dans la réalité physique dite « matérielle », mais aussi dans le monde des significations. C’est ce qui fait de nous des humains. Maintenant, si l’on veut parler des médias dits « numériques » , en plus de leur aspect logiciel (les programmes et les données) ils sont évidemment aussi matériels : les centres de données, les câbles, les modems, les ordinateurs, les smartphones, les écrans, les écouteurs sont tout ce qu’il y a de plus matériels et actuels. Par ailleurs, je ne sais pas très bien à quoi vous faites allusion lorsque vous dites que « le monde virtuel offre des possibilités d’interaction et de réussite quasi illimitées ». Les possibilités d’interactions offertes par le médium numérique sont certes plus diverses que celles qui étaient fournies par l’imprimerie ou la télévision, mais elles ne sont en aucun cas « illimitées » puisque le temps disponible n’est pas extensible à l’infini. Ces possibilités dépendent aussi fortement des capacités et de l’environnement culturel et social des utilisateurs. La toute puissance est toujours une illusion. Par ailleurs, si vous voulez dire que la fiction et le jeu (qu’ils soient ou non à support électronique) offrent des possibilités illimitées, oui, c’est une idée qui a sa part de vérité. Maintenant, si vous sous-entendez qu’il est malsain de passer la plus grande partie de son temps à jouer à des jeux vidéo en ligne au détriment de sa santé, de ses études, de son environnement familial ou de son travail, on ne peut qu’être d’accord avec vous. Mais ce sont ici l’excès et l’addiction qui sont en question, avec leurs causes multiples, et pas « le monde virtuel ».

Q-10 Avec les progrès des technologies numériques, le concept d’immortalité numérique émerge, où nos identités peuvent être préservées indéfiniment en ligne. Comment comprenez-vous la relation entre la spiritualité et cette idée d’immortalité numérique?

R-10 Cette fausse immortalité n’a rien à voir avec la spiritualité. Pourquoi ne pas parler d’immortalité calcaire – ou architecturale – face aux pyramides d’Égypte? Une autre comparaison : Shakespeare ou Victor Hugo, voire Newton ou Einstein, sont probablement plus « immortels » qu’une personne dont on n’a pas supprimé le compte Facebook après la mort. S’il faut absolument rapporter le numérique au sacré, je dirais que les centres de données sont les nouveaux temples et qu’en échange du sacrifice de nos données, nous obtenons les bénédictions pratiques des intelligences artificielles et des médias sociaux.

Q-11 De nombreux experts ont souligné les problèmes moraux présents dans l’organisation et la construction de normes basées sur les données rapportées et exploitées par l’IA (préjugés, racisme et autres formes de déterminisme). Comment contrôler ces problèmes dans le scénario numérique? Qui est responsable ou peut être tenu responsable de problèmes de cette nature? L’IA pourrait-elle avoir des implications juridiques?

R-11 On parle beaucoup des « biais » de tel ou tel modèle d’intelligence artificielle, comme s’il pouvait exister une IA non-biaisée ou neutre. Cette question est d’autant plus importante que l’IA devient notre nouvelle interface avec les objets symboliques : stylo universel, lunettes panoramiques, haut-parleur général, programmeur sans code, assistant personnel. Les grands modèles de langue généralistes produits par les plateformes dominantes s’apparentent désormais à une infrastructure publique, une nouvelle couche du méta-médium numérique. Ces modèles généralistes peuvent être spécialisés à peu de frais avec des jeux de données issues d’un domaine particulier et de méthodes d’ajustement. On peut aussi les munir de bases de connaissances dont les faits ont été vérifiés.

Les résultats fournis par une IA découlent de plusieurs facteurs qui contribuent tous à son orientation ou si l’on préfère, à ses « biais ».

a) Les algorithmes proprement dits sélectionnent les types de calcul statistique et les structures de réseaux neuronaux.

b) Les données d’entraînement favorisent les langues, les cultures, les options philosophiques, les partis-pris politiques et les préjugés de toutes sortes de ceux qui les ont produites.

c) Afin d’aligner les réponses de l’IA sur les finalités supposées des utilisateurs, on corrige (ou on accentue!) « à la main » les penchants des données par ce que l’on appelle le RLHF (Reinforcement Learning from Human Feed-back – en français : apprentissage par renforcement à partir d’un retour d’information humain).

d) Finalement, comme pour n’importe quel outil, l’utilisateur détermine les résultats au moyen de consignes en langue naturelle (les fameux prompts). Comme je l’ai dit plus haut, des communautés d’utilisateurs s’échangent et améliorent collaborativement de telles consignes. La puissance de ces systèmes n’a d’égal que leur complexité, leur hétérogénéité et leur opacité. Le contrôle règlementaire de l’IA, sans doute nécessaire, semble difficile.

La responsabilité est donc partagée entre de nombreux acteurs et processus, mais il me semble que ce sont les utilisateurs qui doivent être tenus pour les responsables principaux, comme pour n’importe quelle technique. Les questions éthiques et juridiques reliées à l’IA sont aujourd’hui passionnément discutées un peu partout. C’est un champ de recherche académique en pleine croissance et de nombreux gouvernements et organismes multinationaux ont émis des lois et règlement pour encadrer le développement et l’utilisation de l’IA.

Pierre Lévy est l’inventeur, il y a 20 ans, du concept “d’intelligence collective”. Concept qui a aujourd’hui beaucoup de succès dans la Silicon Valley. Actuellement, il est Professeur à l’Université d’Ottawa. Blockchain est le sujet de notre entretien. Sa vision reste très avancée sur son temps. Pour lui: tous les intermédiaires ont du souci à se faire: Notaires, Avocats, Banquiers, Commerçants, etc. vont à l’avenir plus ou moins disparaître car la question de leur contribution dans la chaîne de la valeur va être remise en question par les blockchains.

Voici en résumé le développement de son point de vue.

Comme tout le monde le sait maintenant, les blockchains sont des technologies informatiques destinées à suivre des contrats sécurisés, transparents et décentralisés et pas seulement ceux liés aux bitcoins.

Par extension, les blockchains constituent des bases de données qui contiennent l’historique de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs depuis leur création. Ces bases de données sont sécurisées et distribuées : elles sont partagées par ses différents utilisateurs, sans intermédiaire, ce qui permet à chacun de vérifier la validité des données.

Ce qu’il faut surtout retenir, c’est l’absence d’intermédiaire. Imaginez-vous une société sans intermédiaire … purement directe à l’instar de Luther et Calvin qui ont appelé les fidèles à s’adresser directement à Dieu en se passant des curés et du latin, ce qui a abouti à la création de la Réforme. Eh bien, c’est exactement ce qui se passe, affirme Pierre Lévy. On peut l’appeler de diverses façons: révolution numérique, révolution 4.0, etc. mais cela va bien au-delà, c’est la fin programmée ou codifiée des intermédiaires.

Personne ne semble prendre la mesure d’une telle Réforme. Et pourtant dans cette conception économique, le client parlera directement avec l’usine, il traitera immédiatement avec les fabricants et de même l’usine via l’Internet des Objets et les contrats de type blockchain n’auront plus besoin d’ “inter-médiation”.

Cela est vrai pour la finance, le commerce, l’industrie… mais aussi pour les médias, l’enseignement ou encore et surtout les États. En comprenant bien que l’une des fonctions importantes des États, ce sont les enregistrements de toute sorte notamment des contrats comme les mariages, les naissances, les propriétés privées, etc. vous vous imaginez bien à quel point les blockchains vont révolutionner les Etats et sa bureaucratie en général. Plus besoin de notaires, ni de registres foncier avec les blockchains. Cela devient tout simplement très concret et va entraîner une réduction massive des fonctionnaires.

Pierre Lévy pense aussi que le domaine de la Santé va évoluer vers des pratiques digitales nouvelles et moins coûteuses. Ici il s’appuie sur l’idée que des actes médicaux de toute sorte vont être chaînés dans les blockchains. D’une part, cela permettra une meilleure prise en compte des actes médicaux par l’ensemble des parties prenantes de la chaîne de la santé afin d’en diminuer les erreurs, les doublons, etc. tout en améliorant la qualité des soins pour un moindre coût et d’autre part, permettrait une plus grande transparence des interventions. Le dossier médical serait alors une collection de plusieurs blockchains toutes liées à des maladies ou des interventions chirurgicales précises. Les “blockchains-santés” seraient notre historique médical sécurisé et accessible à tous les parties prenantes en temps réel et aussi connectées avec des capteurs incorporés (pacemakers) ou non (montre connectées).

Les “blockchains-santés” du futur, ce sont donc à la fois des actes médicaux, des données actives provenant des capteurs, et des appréciations patients (self quantified) le tout dans un grand registre historique entièrement informatisé, transparent, sécurisé et distribué.

En tous les cas, demain, la donnée-patient sera au cœur du processus santé.

(Article rédigé par Xavier Comtesse et paru le Mercredi 19 octobre dans le Journal économique AGEFI en Suisse)

Ce post est la version française d’un entretien en portugais (Brésil) avec le prof.  Juremir Machado da Silva

 

1 – JMDS: Le développement d’internet a pris plus de temps qu’on n’imagine, mais pour presque tout le monde internet c’est l’explosion du web pendant les années 1990. On peut dire d’une certaine façon que ça fait 30 ans qu’on est entré dans un nouvel imaginaire. Est-ce qu’il y a encore beaucoup de choses à venir ou le cycle a atteint son plafond?

PL: Internet s’est developpé de façon beaucoup plus rapide que n’importe quel autre système de communication. Il y avait moins de 1% de la population mondiale branchée au début des années 1990 et près de 45% une génération plus tard. On avance très vite vers 50% et plus…
Nous sommes seulement au début de la révolution du medium algorithmique. Au cours des générations suivantes nous allons assister à plusieurs grandes mutations. L’informatique ubiquitaire fondue dans le paysage et constamment accessible va se généraliser. L’accès à l’analyse de grandes masses de données (qui est aujourd’hui dans les mains des gouvernements et grandes entreprises) va se démocratiser. Nous aurons de plus en plus d’images de notre fonctionnement collectif en temps réel, etc. L’éducation va se recentrer sur la formation critique à la curation collective des données. La sphère publique va devenir internationale et va s’organiser par « nuages sémantiques » dans les réseaux sociaux. Les états vont passer de la forme « état-nation » à la forme « état en essaim » avec un territoire souverain et une strate déterritorialisée dans l’info-sphère ubiquitaire, les crypto-monnaies vont se répandre, etc.

2 –JMDS: On parte beaucoup d’internet des objets et de tout internet. Ce sont des vraies mutations ou juste des accélérations?

Internet peut être analysé en deux aspects conceptuellement distincts mais pratiquement interdépendants et inséparables. D’une part l’infosphère, les données, les algorithmes, qui sont immatériels et ubiquitaires : ce sont les « nuages ». D’autre part les capteurs, les gadgets, les smart-phones, les dispositifs portables de toutes sortes, les ordinateurs, les data centers, les robots, tout ce qui est inévitablement physique et localisé : les « objets ». Les nuages ne peuvent pas fonctionner sans les objets et vice versa: les objets ne peuvent pas fonctionner sans les nuages. L’Internet, c’est l’interaction constante du localisé et du délocalisé, des objets et des nuages. Tout cela est en quelque sorte logiquement déductible de l’automatisation de la manipulation symbolique au moyen de systèmes électroniques, mais nous allons de plus en plus en sentir les effets dans notre vie de tous les jours.

3 –JMDS:  Avec internet les prédictions sont déchaînées. On continue à parle de l’avenir des journaux en papier et du livre. Il y a ceux qui disent que le papier va cohabiter avec des nouveaux supports et ceux qui disent que c’est juste une question de temps pour la fin de l’imprimé. Les arguments des uns et des autres sont sérieux? Par exemple, par rapport au papier, l’affectif et l’effet de nostalgie n’y compte pas trop? C’est une affaire de génération?

PL: Je crois que la fin de la presse papier est une affaire de temps. Pour la recherche, l’éducation, l’information, tout va passer au numérique. En revanche, j’imagine qu’il va toujours y avoir des lecteurs sur papier pour des romans ou des livres rares, un peu comme il y a toujours un petit marché pour le vinyl en musique. Personnellement, j’aime lire des livres sur papier et les nouvelles sur Internet (surtout par Twitter), mais ce ne sont pas mes préférences personnelles qui sont en jeu… l’électrification, voire l’algorithmisation, de la lecture et de l’écriture sont inévitables.

4 –JMDS:  Après 30 ans de nouveautés comme les réseaux sociaux, quelle a été la grande transformation, le point principal de cette mutation?

PL: Depuis l’apparition du Web au milieu des années 1990, il n’y a pas eu de grande mutation technique, seulement une multitude de petits progrès. Sur un plan socio-politique, le grand basculement me semble le passage d’une sphère publique dominée par la presse, la radio et la télévision à une sphère publique dominée par les wikis, les blogs, les réseaux sociaux et les systèmes de curation de contenu où tout le monde peut s’exprimer. Cela signifie que le monopole intellectuel des journalistes, éditeurs, hommes politiques et professeurs est en train de s’éroder. Le nouvel équilibre n’a pas encore été trouvé mais l’ancien équilibre n’a plus cours.

5 –JMDS: Tu parles depuis beaucoup de temps d’intelligence collective et des collectifs intelligents. On voit cependant internet et ses réseaux sociaux utilisés pour le bien et pour le mal, par exemple, pour disséminer les idées radicales des extrémistes musulmans. Peut-on parler d’une « intelligence collective du mal » d’internet ou d’un outil de la bêtise universelle?

PL: Je parle d’intelligence collective pour signaler et encourager une augmentation des capacités cognitives en général, sans jugement de valeur : augmentation de la mémoire collective, des possibilités de coordination et de création de réseaux, des opportunités d’apprentissage collaboratif, de l’ouverture de l’accès à l’information, etc. Je pense que cet aspect est indéniable et que tous les acteurs intellectuels et sociaux responsables devraient se servir de ces nouvelles possibilités dans l’éducation, dans la gestion des connaissances dans les entreprises et les administrations, pour la délibération politique démocratique, etc. Il faut voir l’invention de Internet dans le prolongement de l’invention de l’écriture ou de l’imprimerie. Il s’agit d’une augmentation des capacités humaines de manipulation symbolique. Maintenant, le coeur de cette capacité c’est le langage, qui ne dépend d’aucune technique particulière et qui existe dès l’origine de l’espèce humaine. C’est grâce au langage qu’existent l’art, la culture, la religion, les valeurs, la complexité de nos institutions économiques, sociales, politiques… Mais qui dit langage dit aussi mensonge et manipulation. Qui dit valeurs dit bien ET mal, beau ET laid. Il est absurde d’imaginer qu’un instrument qui augmente les pouvoirs du langage en général ne laisserait subsister que le vrai, le bien et le beau. Vrai pour qui, bien pour qui ? Le vrai n’émerge que du dialogue ouvert des points de vue. Je dirais même plus, si l’on essayait de faire de l’Internet une machine à produire du vrai, du bien et du beau, on ne parviendrait qu’à un projet totalitaire, d’ailleurs voué à l’échec.

6 –JMDS:  Dans les réseaux sociaux la violence verbale est énorme. On s’attaque, on s’insulte, on divise le monde entre droite et gauche, les bons et les mauvais, les miens et les tiens. Il y a déjà des journalistes qui ferment leurs blogs aux commentaires des lecteurs saturés de post racistes, des menaces et d’insultes. On est encore dans une étape d’apprentissage de l’utilisation des ces outils?

PL: Si quelqu’un m’insulte ou m’envoie des choses choquantes sur Twitter, je le bloque et c’est tout! On n’aura jamais une humanité parfaite. En revanche, l’utilisateur d’Internet n’est pas un mineur intellectuel, il possède un grand pouvoir mais aussi une grande responsabilité. Le problème, surtout pour les enseignants, consiste à éduquer les utilisateurs. Il faut apprendre à décider de ses priorités, à gérer son attention, à faire un choix judicieux et une analyse critique des sources auxquelles on se branche, prêter attention à la culture de ses correspondants, apprendre à identifier les récits et leurs contradictions, etc. C’est cela, la nouvelle « literacy digitale »: devenir responsable!

7 –JMDS:  Une des questions les plus discutées à propos d’internet concerne les droits d’auteur et la gratuité. Les internautes ont tendance à exiger le tout gratuit. Mais l’information a un coût. Qui va payer? La publicité? Les journaux ferment leurs sites? Le temps de payer pour consommer sur internet est définitivement arrivé?

PL: Il n’est pas impossible de faire payer les utilisateurs pour de très bons services. Par ailleurs, oui, la publicité et surtout la vente des informations produites par les utilisateurs à des firmes de marketing constitue aujourd’hui la principale manière de « monétiser » les services en ligne. Le droit d’auteur est clairement en crise pour la musique et de plus en plus pour les films. Je voudrais souligner particulièrement le domaine de la recherche et de l’enseignement où les éditeurs apparaissent dorénavant comme le frein principal au partage de la connaissance. La rémunération de la création à l’âge du médium algorithmique est un problème complexe auquel je n’ai pas de réponse simple valable dans tous les cas…

8 –JMDS:  Tu as parlé aussi de démocratie virtuelle. On peut dire aujourd’hui qu’on avance vers une nouvelle ère de démocratisation?

PL: Oui, dans la mesure où il est possible d’accéder à des sources d’information beaucoup plus diverses que dans le passé, dans la mesure aussi où tout le monde peut s’exprimer à destination d’un vaste public et enfin parce qu’il est beaucoup plus facile aux citoyens de se coordonner et de s’organiser à des fins de discussion, de délibération ou d’action. Cette « démocratie virtuelle » peut avoir un fondement local, comme dans certains projets de « villes intelligentes », mais il y a aussi une déterritorialisation ou une internationalisation de la sphère publique. Il est par exemple possible de suivre la vie politique de nombreux pays en direct ou de vivre au diapason de l’ensemble de la planète selon les points de vue ou les sujets qui nous intéressent. On ne peut pas non plus passer sous silence l’émergence de campagnes politiques utilisant toutes les techniques de l’analyse de données et du profilage marketing, ainsi que le monitoring – voire la manipulation – de l’opinion publique mondiale sur les réseaux sociaux par les agences de renseignements (de tous les pays).

9 –JMDS:  Internet a déjà changé notre façon de penser, de lire et d’organiser notre construction du savoir?

PL: C’est indéniable. L’accessibilité immédiate des dictionnaires, des encyclopédies (dont Wikipedia), des livres en accès ouvert ou payant, de multiples vidéos éducatives a mis l’équivalent d’immenses bibliothèques et médiathèques à la portée de tous, partout. De plus, nous pouvons nous abonner à de nombreux sites web spécialisés et nous connecter à des réseaux de personnes interessées par les mêmes sujets afin de construire nos connaissances de manière collaborative. Le développement de nouveaux types de réseaux de collaboration dans la recherche ou d’apprentissage dans l’enseignement (les fameux MOOCs) en témoignent clairement.

10 –JMDS:  Il y a une chanson au Brésil qui dit “malgré tout ce qu’on a fait et vécu nous sommes toujours les mêmes et vivons comme nos parents”. Sommes-nous toujours les mêmes ou bien l’Internet nous a changé et séparés de la vie de nos parents?

PL: Nous sommes toujours des êtres humains incarnés et mortels, heureux et malheureux. La condition humaine fondamentale ne change pas. Ce qui change c’est notre culture matérielle et intellectuelle. Notre puissance de communication s’est multipliée et distribuée dans l’ensemble de la société. La perception du monde qui nous entoure s’est aggrandie et précisée. Notre mémoire a augmenté. Nos capacités d’analyse de situations complexes à partir de flots de données vont bientôt transformer notre rapport à notre environnement biologique et social. Grâce à la quantité de données disponibles et à la croissance de notre puissance de calcul, nous allons probablement connaître au XXIe siècle une révolution des sciences humaines comparable à la révolution des sciences de la nature du XVIIe siècle. Nous sommes toujours les mêmes ET nous changeons.

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Originally published by the CCCTLab as an interview with Sandra Alvaro.

Pierre Lévy is a philosopher and a pioneer in the study of the impact of the Internet on human knowledge and culture. In Collective Intelligence. Mankind’s Emerging World in Cyberspace, published in French in 1994 (English translation in 1999), he describes a kind of collective intelligence that extends everywhere and is constantly evaluated and coordinated in real time, a collective human intelligence, augmented by new information technologies and the Internet. Since then, he has been working on a major undertaking: the creation of IEML (Information Economy Meta Language), a tool for the augmentation of collective intelligence by means of the algorithmic medium. IEML, which already has its own grammar, is a metalanguage that includes the semantic dimension, making it computable. This in turn allows a reflexive representation of collective intelligence processes.

In the book Semantic Sphere I. Computation, Cognition, and Information Economy, Pierre Lévy describes IEML as a new tool that works with the ocean of data of participatory digital memory, which is common to all humanity, and systematically turns it into knowledge. A system for encoding meaning that adds transparency, interoperability and computability to the operations that take place in digital memory.

By formalising meaning, this metalanguage adds a human dimension to the analysis and exploitation of the data deluge that is the backdrop of our lives in the digital society. And it also offers a new standard for the human sciences with the potential to accommodate maximum diversity and interoperability.

In “The Technologies of Intelligence” and “Collective Intelligence”, you argue that the Internet and related media are new intelligence technologies that augment the intellectual processes of human beings. And that they create a new space of collaboratively produced, dynamic, quantitative knowledge. What are the characteristics of this augmented collective intelligence?

The first thing to understand is that collective intelligence already exists. It is not something that has to be built. Collective intelligence exists at the level of animal societies: it exists in all animal societies, especially insect societies and mammal societies, and of course the human species is a marvellous example of collective intelligence. In addition to the means of communication used by animals, human beings also use language, technology, complex social institutions and so on, which, taken together, create culture. Bees have collective intelligence but without this cultural dimension. In addition, human beings have personal reflexive intelligence that augments the capacity of global collective intelligence. This is not true for animals but only for humans.

Now the point is to augment human collective intelligence. The main way to achieve this is by means of media and symbolic systems. Human collective intelligence is based on language and technology and we can act on these in order to augment it. The first leap forward in the augmentation of human collective intelligence was the invention of writing. Then we invented more complex, subtle and efficient media like paper, the alphabet and positional systems to represent numbers using ten numerals including zero. All of these things led to a considerable increase in collective intelligence. Then there was the invention of the printing press and electronic media. Now we are in a new stage of the augmentation of human collective intelligence: the digital or – as I call it – algorithmic stage. Our new technical structure has given us ubiquitous communication, interconnection of information, and – most importantly – automata that are able to transform symbols. With these three elements we have an extraordinary opportunity to augment human collective intelligence.

You have suggested that there are three stages in the progress of the algorithmic medium prior to the semantic sphere: the addressing of information in the memory of computers (operating systems), the addressing of computers on the Internet, and finally the Web – the addressing of all data within a global network, where all information can be considered to be part of an interconnected whole–. This externalisation of the collective human memory and intellectual processes has increased individual autonomy and the self-organisation of human communities. How has this led to a global, hypermediated public sphere and to the democratisation of knowledge?

This democratisation of knowledge is already happening. If you have ubiquitous communication, it means that you have access to any kind of information almost for free: the best example is Wikipedia. We can also speak about blogs, social media, and the growing open data movement. When you have access to all this information, when you can participate in social networks that support collaborative learning, and when you have algorithms at your fingertips that can help you to do a lot of things, there is a genuine augmentation of collective human intelligence, an augmentation that implies the democratisation of knowledge.

What role do cultural institutions play in this democratisation of knowledge?

Cultural Institutions are publishing data in an open way; they are participating in broad conversations on social media, taking advantage of the possibilities of crowdsourcing, and so on. They also have the opportunity to grow an open, bottom-up knowledge management strategy.

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A Model of Collective Intelligence in the Service of Human Development (Pierre Lévy, en The Semantic Sphere, 2011) S = sign, B = being, T = thing.

We are now in the midst of what the media have branded the ‘big data’ phenomenon. Our species is producing and storing data in volumes that surpass our powers of perception and analysis. How is this phenomenon connected to the algorithmic medium?

First let’s say that what is happening now, the availability of big flows of data, is just an actualisation of the Internet’s potential. It was always there. It is just that we now have more data and more people are able to get this data and analyse it. There has been a huge increase in the amount of information generated in the period from the second half of the twentieth century to the beginning of the twenty-first century. At the beginning only a few people used the Internet and now almost the half of human population is connected.

At first the Internet was a way to send and receive messages. We were happy because we could send messages to the whole planet and receive messages from the entire planet. But the biggest potential of the algorithmic medium is not the transmission of information: it is the automatic transformation of data (through software).

We could say that the big data available on the Internet is currently analysed, transformed and exploited by big governments, big scientific laboratories and big corporations. That’s what we call big data today. In the future there will be a democratisation of the processing of big data. It will be a new revolution. If you think about the situation of computers in the early days, only big companies, big governments and big laboratories had access to computing power. But nowadays we have the revolution of social computing and decentralized communication by means of the Internet. I look forward to the same kind of revolution regarding the processing and analysis of big data.

Communications giants like Google and Facebook are promoting the use of artificial intelligence to exploit and analyse data. This means that logic and computing tend to prevail in the way we understand reality. IEML, however, incorporates the semantic dimension. How will this new model be able to describe they way we create and transform meaning, and make it computable?

Today we have something called the “semantic web”, but it is not semantic at all! It is based on logical links between data and on algebraic models of logic. There is no model of semantics there. So in fact there is currently no model that sets out to automate the creation of semantic links in a general and universal way. IEML will enable the simulation of ecosystems of ideas based on people’s activities, and it will reflect collective intelligence. This will completely change the meaning of “big data” because we will be able to transform this data into knowledge.

We have very powerful tools at our disposal, we have enormous, almost unlimited computing power, and we have a medium were the communication is ubiquitous. You can communicate everywhere, all the time, and all documents are interconnected. Now the question is: how will we use all these tools in a meaningful way to augment human collective intelligence?

This is why I have invented a language that automatically computes internal semantic relations. When you write a sentence in IEML it automatically creates the semantic network between the words in the sentence, and shows the semantic networks between the words in the dictionary. When you write a text in IEML, it creates the semantic relations between the different sentences that make up the text. Moreover, when you select a text, IEML automatically creates the semantic relations between this text and the other texts in a library. So you have a kind of automatic semantic hypertextualisation. The IEML code programs semantic networks and it can easily be manipulated by algorithms (it is a “regular language”). Plus, IEML self-translates automatically into natural languages, so that users will not be obliged to learn this code.

The most important thing is that if you categorize data in IEML it will automatically create a network of semantic relations between the data. You can have automatically-generated semantic relations inside any kind of data set. This is the point that connects IEML and Big Data.

So IEML provides a system of computable metadata that makes it possible to automate semantic relationships. Do you think it could become a new common language for human sciences and contribute to their renewal and future development?

Everyone will be able to categorise data however they want. Any discipline, any culture, any theory will be able to categorise data in its own way, to allow diversity, using a single metalanguage, to ensure interoperability. This will automatically generate ecosystems of ideas that will be navigable with all their semantic relations. You will be able to compare different ecosystems of ideas according to their data and the different ways of categorising them. You will be able to chose different perspectives and approaches. For example, the same people interpreting different sets of data, or different people interpreting the same set of data. IEML ensures the interoperability of all ecosystem of ideas. On one hand you have the greatest possibility of diversity, and on the other you have computability and semantic interoperability. I think that it will be a big improvement for the human sciences because today the human sciences can use statistics, but it is a purely quantitative method. They can also use automatic reasoning, but it is a purely logical method. But with IEML we can compute using semantic relations, and it is only through semantics (in conjunction with logic and statistics) that we can understand what is happening in the human realm. We will be able to analyse and manipulate meaning, and there lies the essence of the human sciences.

Let’s talk about the current stage of development of IEML: I know it’s early days, but can you outline some of the applications or tools that may be developed with this metalanguage?

Is still too early; perhaps the first application may be a kind of collective intelligence game in which people will work together to build the best ecosystem of ideas for their own goals.

I published The Semantic Sphere in 2011. And I finished the grammar that has all the mathematical and algorithmic dimensions six months ago. I am writing a second book entitled Algorithmic Intelligence, where I explain all these things about reflexivity and intelligence. The IEML dictionary will be published (online) in the coming months. It will be the first kernel, because the dictionary has to be augmented progressively, and not just by me. I hope other people will contribute.

This IEML interlinguistic dictionary ensures that semantic networks can be translated from one natural language to another. Could you explain how it works, and how it incorporates the complexity and pragmatics of natural languages?

The basis of IEML is a simple commutative algebra (a regular language) that makes it computable. A special coding of the algebra (called Script) allows for recursivity, self-referential processes and the programming of rhizomatic graphs. The algorithmic grammar transforms the code into fractally complex networks that represent the semantic structure of texts. The dictionary, made up of terms organized according to symmetric systems of relations (paradigms), gives content to the rhizomatic graphs and creates a kind of common coordinate system of ideas. Working together, the Script, the algorithmic grammar and the dictionary create a symmetric correspondence between individual algebraic operations and different semantic networks (expressed in natural languages). The semantic sphere brings together all possible texts in the language, translated into natural languages, including the semantic relations between all the texts. On the playing field of the semantic sphere, dialogue, intersubjectivity and pragmatic complexity arise, and open games allow free regulation of the categorisation and the evaluation of data. Ultimately, all kinds of ecosystems of ideas – representing collective cognitive processes – will be cultivated in an interoperable environment.

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Schema from the START – IEML / English Dictionary by Prof. Pierre Lévy FRSC CRC University of Ottawa 25th August 2010 (Copyright Pierre Lévy 2010 (license Apache 2.0)

Since IEML automatically creates very complex graphs of semantic relations, one of the development tasks that is still pending is to transform these complex graphs into visualisations that make them usable and navigable.

How do you envisage these big graphs? Can you give us an idea of what the visualisation could look like?

The idea is to project these very complex graphs onto a 3D interactive structure. These could be spheres, for example, so you will be able to go inside the sphere corresponding to one particular idea and you will have all the other ideas of its ecosystem around you, arranged according to the different semantic relations. You will be also able to manipulate the spheres from the outside and look at them as if they were on a geographical map. And you will be able to zoom in and zoom out of fractal levels of complexity. Ecosystems of ideas will be displayed as interactive holograms in virtual reality on the Web (through tablets) and as augmented reality experienced in the 3D physical world (through Google glasses, for example).

I’m also curious about your thoughts on the social alarm generated by the Internet’s enormous capacity to retrieve data, and the potential exploitation of this data. There are social concerns about possible abuses and privacy infringement. Some big companies are starting to consider drafting codes of ethics to regulate and prevent the abuse of data. Do you think a fixed set of rules can effectively regulate the changing environment of the algorithmic medium? How can IEML contribute to improving the transparency and regulation of this medium?

IEML does not only allow transparency, it allows symmetrical transparency. Everybody participating in the semantic sphere will be transparent to others, but all the others will also be transparent to him or her. The problem with hyper-surveillance is that transparency is currently not symmetrical. What I mean is that ordinary people are transparent to big governments and big companies, but these big companies and big governments are not transparent to ordinary people. There is no symmetry. Power differences between big governments and little governments or between big companies and individuals will probably continue to exist. But we can create a new public space where this asymmetry is suspended, and where powerful players are treated exactly like ordinary players.

And to finish up, last month the CCCB Lab held began a series of workshops related to the Internet Universe project, which explore the issue of education in the digital environment. As you have published numerous works on this subject, could you summarise a few key points in regard to educating ‘digital natives’ about responsibility and participation in the algorithmic medium?

People have to accept their personal and collective responsibility. Because every time we create a link, every time we “like” something, every time we create a hashtag, every time we buy a book on Amazon, and so on, we transform the relational structure of the common memory. So we have a great deal of responsibility for what happens online. Whatever is happening is the result of what all the people are doing together; the Internet is an expression of human collective intelligence.

Therefore, we also have to develop critical thinking. Everything that you find on the Internet is the expression of particular points of view, that are neither neutral nor objective, but an expression of active subjectivities. Where does the money come from? Where do the ideas come from? What is the author’s pragmatic context? And so on. The more we know the answers to these questions, the greater the transparency of the source… and the more it can be trusted. This notion of making the source of information transparent is very close to the scientific mindset. Because scientific knowledge has to be able to answer questions such as: Where did the data come from? Where does the theory come from? Where do the grants come from? Transparency is the new objectivity.

George Pór's avatarBlog of Collective Intelligence (since 2003)

pierre_levy

Pierre Lévy is a philosopher and a pioneer in the study of the impact of the Internet on human knowledge and culture. In Collective Intelligence. Mankind’s Emerging World in Cyberspace, published in French in 1994 (English translation in 1999), he describes a kind of collective intelligence that extends everywhere and is constantly evaluated and coordinated in real time, a collective human intelligence, augmented by new information technologies and the Internet. Since then, he has been working on a major undertaking: the creation of IEML (Information Economy Meta Language), a tool for the augmentation of collective intelligence by means of the algorithmic medium. IEML, which already has its own grammar, is a metalanguage that includes the semantic dimension, making it computable. This in turn allows a reflexive representation of collective intelligence processes.

In the book Semantic Sphere I. Computation, Cognition, and Information Economy, Pierre Lévy describes IEML as…

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Rothko

Interview with Nelesi Rodriguez, published in spanish in the academic journal Comunicacion , Estudios venezolanos de comunicación • 2º trimestre 2014, n. 166

Collective intelligence in the digital age: A revolution just at its beginning

Pierre Lévy (P.L.) is a renowned theorist and media scholar. His ideas on collective intelligence have been essential for the comprehension of some phenomena of contemporary communication, and his research on Information Economy Meta Language (IEML) is today one of the biggest promises of data processing and of knowledge management. In this interview conducted by the team of the Comunicación(C.M.) magazine, he explained to us some of the basic points of his theory, and gave us an interesting reading on current topics related to communication and digital media. Nelesi Rodríguez, April 2014.

APPROACH TO THE SUBJECT MATTER

C.M: Collective intelligence can be defined as shared knowledge that exists everywhere, that is constantly measured, coordinated in real time, and that drives the effective mobilization of several skills. In this regard, it is understood that collective intelligence is not a quality exclusive to human beings. In what way is human collective intelligence different from other species’ collective intelligence?

P.L: You are totally right when you say that collective intelligence is not exclusive to human race. We know that the ants, the bees, and in general all social animals have got collective intelligence. They solve problems together, and –as social animals-, they are not able to survive alone and this is also the case with human species; we are not able to survive alone and we solve problems together.

But there is a big difference that is related to the use of language: Animals are able to communicate, but they do not have language, I mean, they cannot ask questions, they cannot tell stories, they cannot have dialogues, they cannot communicate about their emotions, their fears, and so on.

So there is the language, that is specific to the human kind, and with the language you have of course better communication and an enhanced collective intelligence; and you have also all that comes with this linguistic ability, that is the technology, the complexity of social institutions –like law, religion, ethics, economy… All these things that animals don`t have. This ability to play with symbolic systems, to play with tools and to build complex social institutions, creates a much more powerful collective intelligence for the humans.

Also, I would say that there are two important features that come from the human culture: The first is that human collective intelligence can improve during history, because each new generation can improve the symbolic systems, the technology, and the social institutions; so there is an evolution of human collective intelligence and, of course, we are talking about a cultural evolution, not a biological evolution. And then, finally, and maybe the most important feature of human collective intelligence, is that each unit of the human collectivity has an ability to reflect, to think by itself. We have individual consciousness, unfortunately for them, the ants don`t; so the fact that the humans have individual consciousness creates at the level of the social cognition something that it is very powerful. That is the main difference between human and animal collective intelligence.

C.M: Do the writing and digital technologies also contribute to this difference?

P.L: In the oral culture, there was certain kind of transmission of knowledge, but of course, when we invented the writing systems we were able to accumulate much more knowledge to transmit to the next generations. With the invention of the diverse writing systems, and then their improvements -like the invention of the alphabet, the invention of the paper, the printing press, and then the electronic media- human collective intelligence expanded. So, for example, the ability to build libraries, to build scientific coordination and collaboration, the communication supported by the telephone, the radio, the television makes human collective intelligence more powerful, and I think that it will be the main challenge our generation and the next will have to face: to take advantage of the digital tools; the computer, the internet, the smartphones, et caetera; to discover new ways to improve our cognitive abilities, our memory, our communication, our problem solving abilities, our abilities to coordinate and collaborate, and so on.

C.M: In an interview conducted by Howard Rheingold, you mentioned that every device and technology that have the purpose of enhancing language also enhance collective intelligence and, at the same time, have an impact on cognitive skills such as memory, collaboration and the ability to connect with one another. Taking this into account:

  • It is said that today, the enhancement of cognitive abilities manifests in different ways: from fandoms and wikis, to crowdsourcing projects that are created with the intent of finding effective treatments for serious illnesses. Do you consider that every one of these manifestations contribute in the same way towards the expansion of our collective intelligence?

P.L: Maybe the most important sector where we should put particular effort is scientific research and learning, because we are talking about knowledge, so the most important part is the creation of knowledge, the dissemination of knowledge or, generally, the collective and individual learning.

Today there is a transformation of communication in the scientific community; more and more journals are open and online, people are doing virtual teams, they communicate by internet, people are using big amounts of digital data, and they are processing this data with computer power; so we are already witnessing this augmentation, but we are just at the beginning of this new approach.

In the case of learning I think it is very important that we recognize the emergence of new ways of learning online collaboratively, where people who want to learn are helping each other, are communicating, are accumulating common memories from where they can take what is interesting for them. This collective learning is not limited to schools; it happens in all kinds of social environments. We could call this “knowledge management”, and there is an individual or personal aspect of this knowledge management that some people call “personal knowledge management”: choosing the right sources on the internet, featuring the sources, categorizing information, doing synthesis, sharing these synthesis on social media, looking for a feedback, initiating a conversation, and so on. We have to realize that learning is and always has been an individual process at is core. Someone has to learn; you cannot learn for someone else. Help other people to learn, this is teaching; but the learner is doing the real work. Then, if the learners are helping each other, you have a process of collective learning. Of course, it works better if these people are interested in the same topics or if they are engaged in the same activities.

Collective learning augmentation is something that is very general and that has increased with the online communication. It also happens at the political level; there is an augmented deliberation, because people can discuss easily on the internet and also there is an enhanced coordination (for public demonstrations and similar things).

  • M: With the passage of time, collective intelligence becomes less a human quality and more one akin to machines; this affair worries more than one individual. What is your stance in the wake of this reality?

P.L: There is a process of artificialization of cognition in general that is very old; it began with the writing, with books; it is already a kind of externalization or objectification of memory. I mean, a library, for instance, is something that is completely material, completely technical, and without libraries we would be much less intelligent.

We cannot be against libraries because instead of being pure brain they are just paper, and ink, and buildings, and index cards. Similarly, it makes no sense that we “revolt” against computer and against the internet. It is the same kind of reasoning than with the libraries, it is just another technology, more powerful, but it is the same idea. It is an augmentation of our cognitive ability -individual and collective-, so it is absurd to be afraid of it.

But we have to distinguish very clearly the material support and the texts. The texts come from our mind, but the text that is in my mind can be projected on paper as well as in a computer network. What it is really important here is the text.

IEML AND THE FUTURE OF COLLECTIVE INTELLIGENCE

C.M: You’ve mentioned before that what we define today as the “semantic web”, more than being based on semantic principles, is based on logical principles. According to your ideas, this represents a roadblock in making the most out of the possibilities offered by digital media. As an alternative, you proposed the IEML (Information Economy Meta Language).

  • Could you elaborate on the basic differences between the semantic web and the IEML?

P.L: The so called “semantic web” –in fact, people call it now “web of data”, and it is a better term for it– is based on very well known principles of artificial intelligence that were developed in the 70s, the 80s, and that were adapted to the web.

Basically, you have a well-organized database, and you have rules to compute the relations between different parts of the database, and these rules are mainly logical rules. IEML works in a completely different manner: you have as many data as you want, and you categorize this data in IEML.

IEML is a language, not a computer language, but an artificial human language. So you can say “the sea”, “this person”, or anything… There are words in IEML, there are no words in the semantic web formats, it doesn’t work like this.

In this artificial language that is IEML, each word is in semantic relations with the other words in the dictionary. So, all the words are intertwined by semantic relations, and are perfectly defined. When you use these words, create sentences, or create texts; you create new relationships between the words, grammatical relationships.

And from texts written in IEML you have algorithms that make automatic relations inside those sentences, from one sentence to the other, and so on. So you have a whole semantic network inside the text that is automatically computed, and even more, you can automatically compute the semantic relations between any text and any library of texts.

An IEML text automatically creates its own semantic relations with all the other texts, and these texts in IEML can automatically translate themselves into natural languages; Spanish, English, Portuguese or Chinese… So, when you use IEML to categorize data, you create automatically semantic links between the data; with all the openness, the subtleness, and the ability to say exactly what you want that language can offer you.

You can categorize any type of content; images, music, software, articles, websites, books, any kind of information. You can categorize these in IEML and at the same time you create links within the data because of the links that are internal to the language.

  • M: Can we consider metatags, hashtags, and Twitter lists as a precedent to the IEML?

P.L: Yes, exactly. I have been inspired by the fact that people are already categorizing data. They started doing this with social bookmarking sites, such as del.icio.us. The act of curation today goes with the act of categorization, of tagging. We do this very often on Twitter, and now we can do it on Facebook, on Google Plus, on Youtube, on Flickr, and so on. The thing is that these tags don`t have the ability to interconnect with other tags and to create a big and consistent semantic network. In addition, these tags are in different natural languages.

From the point of view of the user, it will be the same action, but tagging in IEML will just be more powerful.

  • M: What will the IEML’s initial array of applications be?

P.L: I hope the main applications will be in the creation of collective intelligence games; games of categorization and evaluation of data; a sort of collective curation that will help people to create a very useful memory for their collaborative learning. That, for me, would be the most interesting application, and of course, the creation of a inter-linguistic or trans-linguistic environment.

BIG DATA AND COLLECTIVE INTELLIGENCE

C.M: You’ve referred to big data as one of the phenomena that could take collective intelligence to a whole new level. You’ve mentioned as well that in fact this type of information can only be processed by powerful institutions (governments, corporations, etc.), and that only when the capacity to read big data is democratized, will there truly be a revolution.

Would you say that the IEML will have a key role in this process of democratization? If so, why?

P.L: I think that currently there are two important aspects of big data analytics: First, we have more and more data every day. We have to realize this. And, second, the main producer of this immense flow of data is ourselves. We, the users of the Internet are producing data. So currently lots of people are trying to make sense of this data and here you have two “avenues”:

First is the avenue that is more scientific. In natural sciences you have a lot of data –genetic data, data coming from physics or astronomy-, and also something that is relatively new; the data coming from human sciences. This is called “digital humanities”, and it takes data from spaces like social media and tries to make sense of it from a sociological point of view. Or you take data from libraries and you try to make sense of it from a literary or historical point of view. This is one application.

The second application is in business, in administration –private or public. You have many companies that are trying to sell services to companies and to governments.

I would say that there are two big problems with this landscape:

The first is related to the methodology; today we use mainly statistical methods and logical methods. It is very difficult to have a semantic analysis of the data, because we do not have a semantic code, and let’s remember that every thing we analyze is coded before we analyze it. So you can code quantitatively and you have statistical analysis, code logically and you have logical analysis. So you need a semantic code to have a semantic analysis. We do not have it yet, but I think that IEML will be that code.

The second problem is the fact that this analysis of data is currently in the hands of very powerful or rich players –big governments, big companies. It is expensive and it is not easy to do –you need to learn how to code, you need to learn how to read statistics…

I think that with IEML –because people will be able to code semantically the data– people will also be able to do semantic analysis with the help of the right user-interfaces. They will be able to manipulate this semantic code in natural language, it will be open to everybody.

This famous “revolution of big data” is just at its beginning. In the coming decades there will be much more data and many more powerful tools to analyze it. And it will be democratized; the tools will be open and free.

A BRIEF READING OF THE CURRENT SITUATION IN VENEZUELA

C.M: In the interview conducted by Howard Rheingold, you defined collective intelligence as a synergy between personal and collective knowledge; as an example, you mentioned the curation process that we, as users of social media, develop and that in most cases serves as resource material for others to use. Regarding this particular issue, I’d like to analyze with you this particular situation using collective intelligence:

During the last few months, Venezuela has suffered an important information blackout, product of the government’s monopolized grasp of the majority of the media outlets, the censorship efforts made by the State’s organisms, and the self-imposed censorship of the last independent media outlets of the country. As a response to this blockade, Venezuelans have taken upon themselves to stay informed by invading the digital space. In a relatively short period of time, various non-standard communication networks have been created, verified source lists have been consolidated, applications have been developed, and a sort of ethics code has been established in order to minimize the risk of spreading false information.

Based on your theory on collective intelligence, what reading could you give of this phenomenon?

P.L: You have already given a response to this; I have nothing else to say. Of course I am against any kind of censorship. We have already seen that many authoritarian regimes do not like the internet, because it represents an augmentation of freedom of expression. Not only in Venezuela but in fact in different countries, governments have tried to limit free expression and the people that are politically active and that are not pro-government have tried to organize themselves through the internet. I think that the new environment created by social media –Twitter, Facebook, Youtube, the blogs, and all the apps that help people find the information they need– helps to the coordination and the discussion inside all these opposition movements, and this is the current political aspect of collective intelligence.

WeAreASocialNetwork

Here is the link.

Pierre Lévy comenta os protestos no Brasil: ‘Uma consciência surgiu. Seus frutos virão a longo prazo’

RIO – A resposta ao pedido de entrevista é direta: “O único jeito é via Twitter”, disse o filósofo francês Pierre Lévy, uma das maiores autoridades do mundo nos estudos da cibercultura. E assim foi feito. Lévy conversou com O GLOBO na tarde de segunda, via Twitter, sobre os protestos que vêm ocorrendo no Brasil nas últimas semanas e que surgiram das redes sociais.

Nos últimos anos, muitos protestos emergiram da internet para as ruas. Como o senhor os compararia com manifestações do passado, como Maio de 1968?

Há uma nova geração de pessoas bem educadas, trabalhadores com conhecimento, usando a internet e que querem suas vozes ouvidas. A identificação com 68 está no fenômeno geracional e na revolução cultural. A diferença é que não são as mesmas ideologias.

Mas qual é a nova ideologia? No Brasil, críticos falam da dificuldade em identificar uma ideologia única nas ruas.

Uma comunicação sem fronteiras, não controlada pela mídia. Uma identidade em rede. Mais inteligência coletiva e transparência. Outro aspecto dessa nova ideologia é o “desenvolvimento humano”: educação, saúde, direitos humanos etc.

E qual seria a solução? Como os governos devem lidar com os protestos?

Lutar com mais força contra a corrupção, ser mais transparente, investir mais em saúde, educação e infraestrutura. Porém, a “solução” não está apenas nas mãos dos governos. Há uma mudança cultural e social “autônoma” em jogo.

No Brasil, um dos problemas é que não há líderes para dialogar. Qual seria a melhor forma de se comunicar com movimentos sem lideranças?

A falta de líderes é um sinal de uma nova maneira de coordenar, em rede. Talvez nós não necessitemos de um líder. Você não deve esperar resultados diretos e imediatos a partir dos protestos. Nem mudanças políticas importantes. O que é importante é uma nova consciência, um choque cultural que terá efeitos a longo prazo na sociedade brasileira.

E as instituições? Elas não são mais necessárias? É possível ter democracia sem instituições?

É claro que precisamos de instituições. A democracia é uma instituição. Mas talvez uma nova Constituição seja uma coisa boa. Porém, sua discussão deve ser ainda mais importante do que o resultado. A revolta brasileira está acima de qualquer evento emocional, social e cultural. É o experimento de uma nova forma de comunicação.

Então, o senhor vê os protestos como o início de um tipo de revolução?

Sim, é claro. Ultrapassou-se uma espécie de limite. Uma consciência surgiu. Mas seus frutos virão a longo prazo.

O que separa a democracia nas comunicações da anarquia? Pode-se desconfiar do que é publicado na mídia, mas o que aparece nas redes sociais é ainda menos confiável.

Você não confia na mídia em geral, você confia em pessoas ou em instituições organizadas. Comunicação autônoma significa que sou eu que decido em quem confiar, e ninguém mais. Eu consigo distinguir a honestidade da manipulação, a opacidade da transparência. Esse é o ponto da nova comunicação na mídia social.

O senhor teme que os governos tentem controlar as redes sociais por causa de protestos como os que ocorrem no Brasil e na Turquia?

Eu não temo nada. É normal que qualquer força social e política tente tirar vantagem da mídia social. Mas é impossível “controlar” a mídia social como se faz com a mídia tradicional. Você só pode “tentar” influenciar tendências de opiniões.

E e o risco de regimes ou ideias totalitaristas ganharem força por conta dos protestos, como já ocorreu no passado na América Latina?

Isso é pouco provável no Brasil, por conta de sua alta taxa de pessoas com educação. A chave é, como sempre, manter a liberdade de expressão, como ela é garantida pela lei. Não é preciso ter essa paranoia com o fascismo.

An interesting comment, in portuguese.

Some people ask why I say “alta taxa de pessoas com educação” about Brazil. My answer is: everything is relative. Brazilians are much more educated now than they were 30 years ago!