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Ramon Lull

Le Livre Blanc d’IEML, le métalangage de l’économie de l’information. 2019.
RESUMÉ. IEML est une langue à la sémantique calculable inventée par Pierre Lévy. Le “Livre blanc” (version Beta et non finie) explique les grands principes, la grammaire et les premières applications d’IEML. (une centaine de pages)

Etre et Mémoire dans la revue Sens Public 2019
RÉSUMÉ Le premier enjeu de cet article est de replacer l’objet des sciences humaines (la culture et la signification symbolique) dans la continuité des objets des sciences de la nature. Je fais l’hypothèse que le sens n’apparaît pas brusquement avec l’humanité mais que différentes couches de codage et de mémoire (quantique, atomique, génétique, nerveuse et symbolique) s’empilent et se complexifient progressivement, la strate symbolique n’étant que la dernière en date des « machines d’écriture ». Le second enjeu du texte est de définir la spécificité et l’unité de la couche symbolique, et donc le champ des sciences humaines. Par opposition à une certaine tradition logocentrique, je montre que le symbolisme – s’il comprend évidemment le langage – englobe aussi des sémiotiques (comme la cuisine ou la musique) où la coupure signifiant/signifié n’est pas aussi pertinente que pour les langues. Le troisième enjeu de cet essai est de montrer que les formes culturelles et les puissances interprétatives de l’humanité évoluent avec ses machines d’écriture. L’émergence du numérique, en particulier, laisse entrevoir un raffinement des sciences humaines allant jusqu’au calcul de la complexité sémantique. Cet essai de redéfinition des sciences humaines dans la continuité des sciences de la nature suppose une ontologie – ou une méta-ontologie, selon l’expression de Marcello Vitali-Rosati – pour qui les notions d’écriture et de mémoire sont centrales et qui, en rupture avec la critique kantienne, accepte la pleine réalité de la spatialité et de la temporalité naturelle.

Le rôle des humanités numériques dans le nouvel espace politique dans la revue Sens Public, 2019
RESUMÉ. Alors que plus de 50% de la population mondiale est connectée à l’Internet, les grandes plateformes, et particulièrement Facebook, ont acquis un énorme pouvoir politique. Cette nouvelle situation nous oblige a repenser le projet d’émancipation des lumières. Je propose dans cet article que les chercheurs en sciences humaines et sociales relèvent ce défi en adoptant et en diffusant de nouvelles normes d’intelligence collective réflexive. Les communs de la connaissance, la science ouverte et la souveraineté des individus sur les données qu’ils produisent font l’unanimité. Mais ces principes incontournables sont encore insuffisants. La puissance de calcul et de communication disponible, combinée à l’utilisation d’IEML (une langue à la sémantique calculable), nous permettent d’envisager une mise en transparence des opérations de création de connaissance, de sens et d’autorité. Je présente ici les grandes orientations stratégiques permettant d’atteindre ces objectifs. Une révolution épistémologique des sciences humaines est à portée de main, et avec elle une nouvelle étape dans l’évolution de la pensée critique. (une cinquantaine de pages)

La Pyramide algorithmique dans la revue Sens Public 2017
RESUMÉ. Le medium algorithmique est une infrastructure de communication qui augmente les pouvoirs des médias antérieurs en y ajoutant la mécanisation des opérations symboliques. Son émergence au milieu du vingtième siècle résulte d’une longue histoire scientifique et technique que je résume au début de l’article. Je rappelle ensuite les grandes étapes de son développement (ordinateurs centraux, internet et PC, Web social, Cloud augmenté par l’intelligence artificielle et la chaîne de blocs) ainsi que leurs conséquences sociocognitives. J’évoque pour finir les développements futurs de ce médium dans la perspective d’une intelligence collective réflexive basée sur une nouvelle forme de calcul sémantique.

Les opérateurs élémentaires de la réflexionCahiers Sens public, 2018/1 (n° 21-22), p. 75-102. La philosophie qui a inspiré les “primitives” d’IEML.
RÉSUMÉ. Cet article tente de réduire au minimum les concepts fondamentaux nécessaires à la réflexion sur le sens. Deux concepts complémentaires, la virtualité et l’actualité, rendent compte des dualités de l’action et de la grande opposition métaphysique entre transcendance et immanence. L’actuel possède une adresse spatio-temporelle, il est situé dans le temps séquentiel et dans l’espace physique tridimensionnel tandis qu’on ne peut assigner d’adresse spatio-temporelle précise à l’abstraction du virtuel. Le triangle sémiotique rend compte des triades de la représentation. Le signe (1) indique (2) une chose, un objet ou un référent quelconque auprès (3) d’un être ou interprétant. Il n’y a de signe que « de » quelque chose et « pour » quelqu’un. Enfin, il faut pouvoir considérer explicitement une absence, y compris un vide de connaissance, pour poser des questions et réfléchir. Les six opérateurs élémentaires de la réflexion (virtuel, actuel, signe, être, chose et vide) fonctionnent de manière interdépendante et traversent tous les champs des sciences humaines et sociale : on étudie particulièrement dans cet article leur pertinence en sémiotique, épistémologie, cosmologie, religion, politique et économie.

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FIGURE 1

La figure 1 présente les six catégories primitives de la sémantique et schématise leurs relations d’interdépendance. On peut comparer ce diagramme à celui d’une main. Alors que l’organe du corps humain possède cinq doigts et une opposition entre le pouce et les autres doigts, la main sémantique comporte six doigts – les catégories – et quatre systèmes d’opposition emboîtés – les relations –. La pince du virtuel et de l’actuel commande la relation d’interdépendance pragmatique. La pince ternaire entre le signe, l’être et la chose prend en charge l’interdépendance sémiotique. L’opposition de la pince pragmatique et de la pince sémiotique actionne la tenaille de la relation formelle. La méta-pince rationnelle, enfin, oppose le vide et la forme.

Le vide, le virtuel, l’actuel, le signe, l’être et la chose ne sont pas de mon invention, je me suis contenté de recueillir puis de mettre en forme un très ancien héritage. La plupart des catégories sémantiques remontent au moins à Aristote et elles ont été raffinées par une longue tradition de philosophes, de logiciens, de sémioticiens, de grammairiens et de linguistes. On trouvera une importante bibliographie à ce sujet dans La Sphère sémantique (2011). Je me contenterai ici de signaler quelques-unes de mes sources.

La relation pragmatique entre virtuel et actuel

On catégorise comme actuel ce qui possède un caractère concret ou sensible et qui se localise facilement dans l’espace et le temps. Par contraste, le virtuel catégorise ce qui possède un caractère intelligible, abstrait et auquel il est difficile d’attribuer une adresse spatio-temporelle bien déterminée.

Le couple virtuel/actuel décrit une dialectique pragmatique, que l’on peut retrouver notamment dans la dynamique entre potentialités (virtuelles) et réalisations (actuelles), problèmes (virtuels) et solutions (actuelles), stratégies (relation aux finalités virtuelles) et tactiques (relations aux moyens actuels), etc.

La dialectique du virtuel et de l’actuel fait écho au Ciel et à la Terre des premières nations, au yang et au yin de la pensée chinoise, à l’âme et au corps, à la transcendance et à l’immanence, à l’intelligible et au sensible (Platon), à la puissance et à l’acte (Aristote), à la pensée et à l’étendue (Descartes), au transcendantal et à l’empirique (Kant)… J’ai par ailleurs consacré un livre entier à cette question.

Virtuel et actuel sont des notions relatives, qui se définissent l’une par l’autre. Dans l’analyse d’un cycle pragmatique complexe, la catégorisation des phases virtuelle et actuelle relève de l’interprétation en contexte. Par ailleurs, virtualité et actualité peuvent définir les deux pôles d’un continuum. Ainsi, un caillou rêvé est plus virtuel qu’un caillou perçu, mais plus actuel qu’un rêve de caillou dans un roman.

La relation sémiotique entre signe, être et chose

Le signe catégorise ce qui est de l’ordre du code, du message et de la connaissance. L’être indique les personnes, leurs rapports et leurs intentions, ce qui est de l’ordre de l’esprit, la capacité de concevoir ou d’interpréter. Enfin, la chose catégorise ce dont on parle, les objets (abstraits ou concrets), les corps, les outils, le pouvoir.

Le ternarité signe/être/chose exprime une dialectique sémiotique, que l’on retrouve notamment dans la distribution des rôles de communication : on pourra par exemple distinguer entre les messages (signes), les personnes (êtres) et les éléments de contexte qui sont en jeu (choses). En logique, la proposition (signe), le jugement (être) et l’état de chose (chose) sont inséparables puisqu’un jugement logique détermine si un état de chose correspond, oui ou non, à une proposition.

La dialectique sémiotique du signe, de l’être et de la chose renvoie…

  • à la distinction aristotélicienne du symbole, de l’état d’esprit et de la chose ;
  • à la triade « vox, conceptus, res » de la philosophie médiévale ;
  • au fondement du signe, à l’interprétant et à l’objet de C. S. Peirce ;
  • au noème, à l’intention et à l’objet de Husserl (ou bien, à un niveau d’analyse plus fin décomposant le noème de cette dernière triade, la noèse – signe –, le noème au sens restreint – être – et la hylè sensible – chose – ;
  • au logos, à l’ethos et au pathos de la rhétorique ;
  • aux actes locutoire, illocutoire et perlocutoire de la pragmatique (tels que définis par Austin), et ainsi de suite.

De même que dans le cas de la dialectique virtuel/actuel, la dialectique signe/être/chose est hautement relative. Il s’agit surtout de déterminer le rôle joué par ce que l’on veut catégoriser selon les points de vue, les circonstances et les contextes. Par exemple, une personne pourra être catégorisée signe, être ou chose selon la fonction qu’elle joue dans une situation : messager (signe), interlocuteur (être) ou sujet de la conversation (chose).

La relation formelle entre pragmatique et sémiotique

Les dialectiques pragmatique et sémiotique sont elles-mêmes en relation dynamique d’interdépendance. L’interdépendance de la figure et du fond – de la représentation sémiotique et de l’interaction pragmatique – fait émerger une forme. A l’intérieur de cette dialectique, la sémiotique décrit les opérations de construction ou de production d’entités tandis que la pragmatique rend compte de l’exploration et de la reconnaissance de processus. C’est ainsi que les mouvements ou les verbes seront catégorisés comme pragmatiques et que les entités ou les noms seront catégorisés comme sémiotiques.

Sur un plan épistémologique, cette dialectique permet d’articuler deux faces complémentaires de la connaissance : le « savoir produire » de l’intérieur (sémiotique) et le « savoir reconnaître » à l’extérieur (pragmatique). Par exemple, maîtriser le langage suppose d’être capable de produire des phrases, ce qui se termine par une activation motrice, mais aussi de les reconnaître, ce qui commence par une activation sensorielle. Les deux aspects sont à la fois distincts et complémentaires. Pour prendre un autre exemple, nous savons marcher ou manger ; nous savons aussi reconnaître la marche ou la manducation chez les autres, donc ailleurs que dans notre propre activité ; finalement, nous savons qu’il s’agit de la même chose, même si savoir faire et savoir reconnaître mettent en oeuvre des sensations et des mouvements différents.

La relation rationnelle entre vide et forme

La dialectique rationnelle, enfin, met en relation la forme qui comprend les cinq catégories pleines (virtuel, actuel, signe, être, chose) et le vide. Le vide rend compte du zéro, du silence, du blanc, de l’indétermination sémantique et de l’espace ouvert où se déploie l’expérience humaine. A ce titre, il s’oppose aux catégories pleines qu’il exclut en tant que néant… mais qu’il contient en tant qu’espace. Le contraste entre le pattern et le bruit dans le signal. relève justement de cette dialectique rationnelle entre le vide (le bruit) et le plein (le pattern).

Une théorie sémantique de la cognition doit rendre compte de la distinction fondamentale entre fait et fiction, c’est-à-dire entre les idées dont les objets seront réputés inventés ou simulés (vide) et celles dont les objets seront supposés réels (plein) : il y va de la survie de l’être intelligent. C’est pourquoi, en fonction des circonstances, la dialectique rationnelle distinguera entre le vrai et le faux, le connu et l’inconnu, la réalité et l’imitation, les idées claires ou confuses…

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FIGURE 1

J’ai montré dans un post précédent, l’importance contemporaine de la curation collaborative de données.  Les compétences dans ce domaine sont au coeur de la nouvelle litéracie algorithmique. La figure 1 présente ces compétences de manière systématique et, ce faisant, elle met en ordre les savoir-faire intellectuels et pratiques tout comme les « savoir-être » éthiques qui supportent l’augmentation de l’intelligence collective en ligne. L’étoile évoque le signe, le visage l’être et le cube la chose (sur ces concepts voir ce post). La table est organisée en trois rangées et trois colonnes interdépendantes. La première rangée explicite les fondements de l’intelligence algorithmique au niveau personnel, la seconde rappelle l’indispensable travail critique sur les sources de données et la troisième détaille les compétences nécessaires à l’émergence d’une intelligence collective augmentée par les algorithmes. L’intelligence personnelle et l’intelligence collective travaillent ensemble et ni l’une ni l’autre ne peuvent se passer d’intelligence critique ! Les colonnes évoquent trois dimensions complémentaires de la cognition : la conscience réflexive, la production de signification et la mémoire. Aucune d’elles ne doit être tenue pour acquise et toutes peuvent faire l’objet d’entraînement et de perfectionnement. Dans chaque case, l’item du haut pointe vers un exercice de virtualisation tandis que celui du bas indique une mise en oeuvre actuelle de la compétence, plus concrète et située. Je vais maintenant commenter le tableau de la figure 1 rangée par rangée.

L’intelligence personnelle

La notion d’intelligence personnelle doit ici s’entendre au sens d’une compétence cognitive individuelle. Mais elle tire également vers la signification du mot « intelligence » en anglais. Dans ce dernier sens, elle désigne la capacité d’un individu à mettre en place son propre système de renseignement.

La gestion de l’attention ne concerne pas seulement l’exercice de la concentration et l’art complémentaire d’éviter les distractions. Elle inclut aussi le choix réfléchi de priorités d’apprentissage et le discernement de sources d’information pertinentes. Le curateur lui-même doit décider de ce qui est pertinent et de ce qui ne l’est pas selon ses propres critères et en fonction des priorités qu’il s’est donné. Quant à la notion de source, est-il besoin de souligner ici que seuls les individus, les groupes et les institutions peuvent être ainsi qualifiés. Seuls donc ils méritent la confiance ou la méfiance. Quant aux médias sociaux, ce ne sont en aucun cas des sources (contrairement à ce que croient certains journalistes) mais plutôt des plateformes de communication. Prétendre, par exemple, que « Twitter n’est pas une source fiable », n’a pas plus de sens que l’idée selon laquelle « le téléphone n’est pas une source fiable ».

L’interpretation des données relève également de la responsabilité des curateurs. Avec tous les algorithmes statistiques et tous les outils d’analyse automatique de données (« big data analytics ») du monde, nous aurons encore besoin d’hypothèses causales, de théories et de systèmes de catégorisation pour soutenir ces théories. Les corrélations statistiques peuvent suggérer des hypothèses causales mais elles ne les remplacent pas. Car nous voulons non seulement prédire le comportement de phénomènes complexes, mais aussi les comprendre et agir sur la base de cette compréhension. Or l’action efficace suppose une saisie des causes réelles et non seulement la perception de corrélations. Sans les intuitions et les théories dérivées de notre connaissance personnelle d’un domaine, les outils d’analyse automatique de données ne seront pas utilisés à bon escient. Poser de bonnes questions aux données n’est pas une entreprise triviale !

Finalement, les données collectionnées doivent être gérées au plan matériel. Il nous faut donc choisir les bons outils d’entreposage dans les « nuages » et savoir manipuler ces outils. Mais la mémoire doit être aussi entretenue au niveau conceptuel. C’est pourquoi le bon curateur est capable de créer, d’adopter et surtout de maintenir un système de catégorisation qui lui permettra de retrouver l’information désirée et d’extraire de ses collections la connaissance qui lui sera utile.

L’intelligence critique

L’intelligence critique porte essentiellement sur la qualité des sources. Elle exige d’abord un travail de critique « externe ». Nous savons qu’il n’existe pas d’autorité transcendante dans le nouvel espace de communication. Si nous ne voulons pas être trompé, abusé, ou aveuglé par des oeillères informationnelles, il nous faut donc autant que possible diversifier nos sources. Notre fenêtre d’attention doit être maintenue bien ouverte, c’est pourquoi nous nous abonnerons à des sources adoptant divers points de vue, récits organisateurs et théories. Cette diversité nous permettra de croiser les données, d’observer les sujets sur lesquelles elles se contredisent et ceux sur lesquelles elles se confirment mutuellement.

L’évaluation des sources demande également un effort de décryptage des identités : c’est la critique « interne ». Pour comprendre la nature d’une source, nous devons reconnaître son système de classification, ses catégories maîtresses et son récit organisateur. En un sens, une source n’est autre que le récit autour duquel elle organise ses données : sa manière de produire du sens.

Finalement l’intelligence critique possède une dimension « pragmatique ». Cette critique est la plus dévastatrice parce qu’elle compare le récit de la source avec ce qu’elle fait réellement. Je vise ici ce qu’elle fait en diffusant ses messages, c’est-à-dire l’effet concret de ses actes de communication sur les conversations en cours et l’état d’esprit des participants. Je vise également les contributions intellectuelles et esthétiques de la source, ses interactions économiques, politiques, militaires ou autres telles qu’elles sont rapportées par d’autres sources. Grâce à cette bonne mémoire nous pouvons noter les contradictions de la source selon les moments et les publics, les décalages entre son récit officiel et les effets pratiques de ses actions. Enfin, plus une source se montre transparente au sujet de ses propres sources d’informations, de ses références, de son agenda et de son financement et plus elle est fiable. Inversement, l’opacité éveille les soupçons.

L’intelligence collective

Je rappelle que l’intelligence collective dont il est question ici n’est pas une « solution miracle » mais un savoir-faire à cultiver qui présuppose et renforce en retour les intelligences personnelles et critiques.

Commençons par définir la stigmergie : il s’agit d’un mode de communication dans lequel les agents se coordonnent et s’informent mutuellement en modifiant un environnement ou une mémoire commune. Dans le médium algorithmique, la communication tend à s’établir entre des pairs qui créent, catégorisent, critiquent, organisent, lisent, promeuvent et analysent des données au moyen d’outils algorithmiques. Il s’agit bien d’une communication stigmergique parce que, même si les personnes dialoguent et se parlent directement, le principal canal de communication reste une mémoire commune que les participants exploitent et transforment ensemble. Il est utile de distinguer entre les mémoires locale et globale. Dans la mémoire « locale » de réseaux ou de communautés particulières, nous devons prêter attention à des contextes et à des histoires singulières. Il est également recommandé de tenir compte des contributions des autres participants, de ne pas aborder des sujets non-pertinents pour le groupe, d’éviter les provocations, les explosions d’agressivité, les provocations, etc.

Quant à la mémoire « globale », il faut se souvenir que chaque action dans le médium algorithmique réorganise – même de façon infinitésimale – la mémoire commune : lire, taguer, acheter, poster, créer un hyperlien, souscrire, s’abonner, « aimer », etc. Nous créons notre environnement symbolique de manière collaborative. Le bon agent humain de l’intelligence collective gardera donc à la conscience que ses actions en ligne contribuent à l’information des autres agents.

La liberté dont il est question dans la figure 1 se présente comme une dialectique entre pouvoir et responsabilité. Le pouvoir recouvre notre capacité à créer, évaluer, organiser, lire et analyser les données, notre aptitude à faire évoluer la mémoire commune à partir de la multitude distribuée de nos actions. La responsabilité se fonde sur une conscience réfléchie de notre pouvoir collectif, conscience qui informe en retour l’orientation de notre attention et le sens que nous donnons à l’exercice de nos pouvoirs.

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FIGURE 2

L’apprentissage collaboratif

Finalement, l’apprentissage collaboratif est un des processus cognitifs majeurs de l’intelligence collective et le principal bénéfice social des habiletés en curation de données. Afin de bien saisir ce processus, nous devons distinguer entre savoirs tacites et savoirs explicites. Les savoirs tacites recouvrent ce que les membres d’une communauté ont appris dans des contextes particuliers, les savoir-faire internalisés dans les réflexes personnels à partir de l’expérience. Les savoirs explicites, en revanche, sont des récits, des images, des données, des logiciels ou d’autres ressources documentaires, qui sont aussi clairs et décontextualisés que possible, afin de pouvoir être partagés largement.

L’apprentissage collaboratif enchaîne deux mouvements. Le premier consiste à traduire le savoir tacite en savoir explicite pour alimenter une mémoire commune. Dans un second mouvement, complémentaire du premier, les participants exploitent le savoir explicite et les ressources d’apprentissage disponibles dans la mémoire commune afin d’adapter ces connaissances à leur contexte particulier et de les intégrer dans leurs réflexes quotidiens. Les curateurs sont potentiellement des étudiants ou des apprenants lorsqu’ils internalisent un savoir explicite et ils peuvent se considérer comme des enseignants lorsqu’ils mettent des savoirs explicites à la disposition des autres. Ce sont donc des pairs (voir la figure 2) qui travaillent dans un champ de pratique commun. Ils transforment autant que possible leur savoir tacite en savoir explicite et travaillent en retour à traduire la partie des connaissances explicites qu’ils veulent acquérir en savoir pratique personnel. J’écris “autant que possible” parce que l’explicitation totale du savoir tacite est hors de portée, comme l’a bien montré Michael Polanyi.

Dans le médium algorithmique, le savoir explicite prend la forme de données catégorisées et évaluées. Le cycle de transformation des savoirs tacites en savoirs explicites et vice versa prend place dans les médias sociaux, où il est facilité par une conversation créative civilisée : les compétences intellectuelles et sociales (ou morales) fonctionnent ensemble !

We will first make a detour by the history of knowledge and communication in order to understand what are the current priorities in education.

THE EVOLUTION OF KNOWLEDGE

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The above slide describes the successive steps in the augmentation of symbolic manipulation. At each step in the history of symbolic manipulation, a new kind of knowledge unfolds. During the longest part of human history, the knowledge was only embedded in narratives, rituals and material tools.

The first revolution is the invention of writing with symbols endowed with the ability of self-conservation. This leads to a remarquable augmentation of social memory and to the emergence of new forms of knowledge. Ideas were reified on an external surface, which is an important condition for critical thinking. A new kind of systematic knowledge was developed: hermeneutics, astronomy, medicine, architecture (including geometry), etc.

The second revolution optimizes the manipulation of symbols like the invention of the alphabet (phenician, hebrew, greek, roman, arab, cyrilic, korean, etc.), the chinese rational ideographies, the indian numeration system by position with a zero, paper and the early printing techniques of China and Korea. The literate culture based on the alphabet (or rational ideographies) developed critical thinking further and gave birth to philosophy. At this stage, scholars attempted to deduce knowledge from observation and deduction from first principles. There was a deliberate effort to reach universality, particularly in mathematics, physics and cosmology.

The third revolution is the mecanization and the industrialization of the reproduction and diffusion of symbols, like the printing press, disks, movies, radio, TV, etc. This revolution supported the emergence of the modern world, with its nation states, industries and its experimental mathematized natural sciences. It was only in the typographic culture, from the 16th century, that natural sciences took the shape that we currently enjoy: systematic observation or experimentation and theories based on mathematical modeling. From the decomposition of theology and philosophy emerged the contemporary humanities and social sciences. But at this stage human science was still fragmented by disciplines and incompatible theories. Moreover, its theories were rarely mathematized or testable.

We are now at the beginning of a fourth revolution where an ubiquitous and interconnected infosphere is filled with symbols – i.e. data – of all kinds (music, voice, images, texts, programs, etc.) that are being automatically transformed. With the democratization of big data analysis, the next generations will see the advent of a new scientific revolution… but this time it will be in the humanities and social sciences. The new human science will be based on the wealth of data produced by human communities and a growing computation power. This will lead to reflexive collective intelligence, where people will appropriate (big) data analysis and where subjects and objects of knowledge will be the human communities themselves.

THE EVOLUTION OF EDUCATION

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We have seen that for each revolution in symbolic manipulation, there was some new developements of knowledge. The same can be said of learning methods and institutions. The school was invented by the scribes. At the beginning, it was a professional training for a caste of writing specialists: scribes and priests. Pedagogy was strict and repetitive. Our current primary school is reminiscent of this first learning institution.

Emerging in the literate culture, the liberal education was aimed at broader elites than the first scribal schools. Young people were trained in reading and interpreting the « classics ». They learned how to build rational argumentation and persuasive discourses.

In modern times, education became compulsory for every citizen of the nation state. Learning became industrialized and uniform through state programs and institutions.

At the time of the algorithmic medium, knowledge is evolving very fast, almost all learning resources are available for free and we interact in social media. This is the end of the old model of learning communities organizing themselves around a library or any physical knowledge repository. Current learning should be conceived as delocalized, life-long and collaborative. The whole society will get a learning dimension. But that does not mean that traditional learning institutions for young people are no longer relevant. Just the opposite, because young people should be prepared for collaborative learning in social media using a practically infinite knowledge repository without any transcending guiding authority. They will need not only technical skills (that will evolve and become obsolete very quickly) but above all moral and intellectual skills that will empower them in their life-long discovery travels.

DATA CURATION SKILLS AT THE CORE OF THE NEW LITERACY

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In the algorithmic medium, communication becomes a collaboration between peers to create, categorize, criticize, organize, read, promote and analyse data by the way of algorithmic tools. It is a stigmergic communication because, even if people dialogue and talk to each other, the main channel of communication is the common memory itself, a memory that everybody transforms and exploits. The above slide lists some examples of this new communication practices. Data curation skills are at the core of the new algorithmic literacy.

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I present in the above slide the fundamental intellectual and moral skills that every student will have to master in order to survive in the algorithmic culture. The slide is organized by three rows and three columns that work in an interdependant manner. As the reader can see, personal intelligence is not independant form collective intelligence and vice versa. Moreover, both of them need critical intelligence!

PERSONAL INTELLIGENCE

Attention management is not only about focusing or avoiding distraction. It is also about choosing what we want or need to learn and being able to select the relevant sources. We decide what is relevant or not according to our own priorities and our criteria for trust. By the way, people and institutions are the real sources to be trusted or not, not the platforms!

Interpretation. Even with the statistical tools of big data analysis, we will always need theories and causal hypothesis, and not only correlations. We want to understand something and act upon this understanding. Having intuitions and theories derived from our knowledge of a domain, we can use data analytics to test our hypothesis. Asking the right questions to the data is not trivial!

Memory management. The data that we gather must be managed at the material level: we must choose the right memory tool in the clouds. But the data must also be managed at the conceptual level: we have to create and maintain a useful categorisation system (tags, ontologies…) in order to retrieve and analyse easily the desired information.

CRITICAL INTELLIGENCE

External critique. There is no transcendant authority in the new communication space. If we don’t want to be fooled, we need to diversify our sources. This means that we will gather sources that have diverse theories and point of views. Then, we should act on this diversity by cross-examining the data and observe where they contradict and where they confirm each other.

Internal critique. In order to understand who is a source, we must identify its classification system, its categories and its narrative. In a way, the source is its narrative.

Pragmatic critique. In essence, the pragmatic critique is the most devastating because it is at this point that we compare the narrative of the source and what it is effectively doing. We can do this by checking the actions of one source as reported by other sources. We can also notice the contradictions in the source’s narratives or a discrepancy between its official narrative and the pragmatic effects of its discourses. A source cannot be trusted when it is not transparent about its references, agenda, finance, etc.

COLLECTIVE INTELLIGENCE

The collective intelligence that I am speaking about is not a miracle solution but a goal to reach. It emerges in the new algorithmic environment in interaction with personal and critical intelligence .

Stigmergic communication. Stigmergy means that people communicate by modifying a common memory. We should distinguish between the local and the global memory. In the local memory (particular communities or networks), we should pay attention to singular contexts and histories. We should also avoid ignorance of other’s contributions, non-relevant questions, trolling, etc.

Liberty. Liberty is a dialectic of power and responsability. Our power here is our ability to create, assess, organize, read and analyse data. Every act in the algorithmic medium re-organizes the common memory: reading, tagging, buying, posting, linking, liking, subscribing, etc. We create collaboratively our own common environment. So we need to take responsability of our actions.

Collaborative learning. This is the main goal of collective intelligence and data curation skills in general. People add explicit knowledge to the common memory. They express what they have learnt in particular contexts (tacit knowledge) into clear and decontextualized propositions, or narratives, or visuals, etc. They translate into common software or other easily accessible resources (explicit) the skills and knowledge that they have internalized in their personal reflexes through their experience (tacit). Symetrically, people try to apply whatever usefull resources they have found in the common memory (explicit) and to acquire or integrate it into their reflexes (tacit).

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The final slide above is a visual explicitation of the collaborative learning process. Peers working in a common field of practice use their personal intelligence (PI) to transform tacit knowledge into explicit knowledge. They also work in order to translate some common explicit knowledge into their own practical knowledge. In the algorithmic medium, the explicit knowledge takes the form of a common memory: data categorized and evaluated by the community. The whole process of transforming tacit knowledge into explicit knowledge and vice versa takes place largely in social media, thank to a civilized creative conversation. Intellectual and social (or moral) skills work together!

Jung-Mandala

I will speak the 5th of September 2014 in Rio de Janeiro at the event Educaçao 360.

Here is my presentation: Algorithmic communication